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Chloé Maurel : « Le futur secrétaire général de l’ONU doit donner plus de place aux pays du Sud »

Chloé Maurel : « Le futur secrétaire général de l’ONU doit donner plus de place aux pays du Sud »

Alors que les crises sécuritaires, sanitaires, migratoires, environnementales, économiques, sociales et même civilisationnelles posent avec acuité la question d’un règlement international commun, des organes majeurs des Nations unies vont voir leurs directions renouvelées en 2017, à commencer par son Secrétariat général où le Sud-Coréen Ban Ki-moon cédera sa place le 1er janvier 2017.

Les candidats à ce poste comme aux directions de l’Unesco, de l’OMS et du Pnud sortent du bois, tandis que les nouveaux chefs du Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE) et du Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) prennent leur fonction. Rare spécialiste de l’organisation mondiale, l’historienne Chloé Maurel, chercheuse associée à l’IRIS, décrypte les enjeux et les processus des élections à venir.

Jeune Afrique : Comment sera sélectionné le successeur de Ban Ki-moon ?

Chloé Maurel : La nouvelle formule d’élection, qui permet aux candidats d’être auditionnés devant l’Assemblée générale, est à saluer car elle va dans le sens d’une plus grande transparence et du pluralisme. Las, cela ne change rien à la toute-puissance du Conseil de sécurité sur la nomination du futur secrétaire général. C’est toujours lui qui garde la haute main sur cette élection, car il va désigner en séance privée le candidat qui a sa préférence et les 5 membres permanents peuvent utiliser leur droit de veto.

Neuf candidats se sont déjà présentés, et la Bulgare Irina Bokova, l’actuelle directrice générale de l’Unesco, est donnée comme favorite…

Irina Bokova apparaît comme l’une des favorites car elle est une femme et plusieurs pays ont réclamé qu’une femme, pour la première fois, arrive à ce poste ; elle est d’Europe de l’Est et la Russie souhaite un secrétaire général d’Europe de l’Est (selon la tradition tacite qui veut qu’il y ait un roulement par régions du monde) ; elle est francophone et la France souhaite un secrétaire génral sachant parler français ; et enfin elle a l’expérience d’avoir dirigé une grande agence de l’ONU, l’Unesco.

Quelle devra être la priorité du futur élu ?

Il me semble essentiel que le futur secrétaire général de l’ONU effectue les transformations nécessaires dans le fonctionnement de l’ONU, donnant plus de place aux pays du Sud, et orientant les Nations unies plus en faveur des besoins de l’Afrique notamment.

Les hauts dirigeants du Pnud sont essentiellement issus de pays du Nord, alors que les besoins sont principalement dans les pays du Sud

Le Pnud doit aussi voir sa direction renouvelée en 2017 mais le processus, plus opaque, n’est-il pas entièrement en faveur des pays du Nord ?

Effectivement, on voit bien que le clivage Nord-Sud y est flagrant. Les hauts dirigeants de cette instance sont essentiellement issus de pays du Nord, alors que les besoins sont principalement dans les pays du Sud.

À l’instar du secrétaire général, le processus de nomination du directeur général de l’OMS est régi par de nouvelles règles, pourquoi ?

Il a aussi été révisé pour plus de transparence depuis la dernière élection, en 2012, et comporte des innovations telles qu’un code de conduite et un forum des candidats qui permettent des échanges avec les États membres. Car les postes de décision à l’OMS sont particulièrement sensibles, avec des risques de conflits d’intérêts. Ainsi beaucoup d’« experts » consultés par l’OMS, ou même des hauts fonctionnaires de l’OMS, avaient des liens avec l’industrie pharmaceutique et leurs actions pouvaient être influencées par des intérêts financiers sur ces questions.

À l’Unesco, le mandat de la Bulgare Irina Bokova se termine en 2017. Pourquoi les trois candidats connus sont-ils arabes ?

Selon une tradition propre aux organisations internationales, il y a un roulement par régions du monde pour la nationalité du plus haut dirigeant, ainsi à l’Unesco, il est attendu que le prochain dirigeant soit du Moyen Orient. Il y a un candidat du Liban, ou plutôt deux concurrents qui se veulent tous deux le candidat du Liban : la Franco-Libanaise Vera el-Khoury Lacoeuilhe et le Libanais Ghassan Salamé, ancien ministre. Ce dernier est bien placé car il a occupé des fonctions intellectuelles importantes, notamment en France, au CNRS et à Sciences-Po, ce qui est un point fort.

L’Unesco enverrait un mauvais signal au monde en élisant un directeur général qatari

Un autre candidat issu lui aussi du Moyen Orient est le Qatari Hamad Bin Abdul Aziz Al Kuwari, ex-ministre de la Culture du Qatar. Mais il me semble que l’Unesco enverrait un mauvais signal au monde en élisant un directeur général qatari, étant donné la façon indigne dont le Qatar exploite ses travailleurs étrangers dans des conditions proches de l’esclavage. Ce pays a recours également à la peine de mort, à la flagellation, interdit l’homosexualité, etc. Le Liban apparaît bien plus consensuel comme pays pour le futur directeur général.

Feu Boutros-Boutros Ghali disait en juillet 2015 à Jeune Afrique que la priorité devrait être d’inclure la société civile et les ONG aux organes électifs et décisionnels des NU. Quels sont les grands défis qui se posent globalement au système ?

Mieux lier les Nations unies et la société civile est certes important, car les Nations unies sont trop loin des gens. Par ailleurs, l’ONU doit prendre ses distances avec les entreprises privées. Depuis le mandat de Kofi Annan et son « Pacte mondial » de 2000, l’ONU s’est de plus en plus rapprochée des entreprises privées, les accueillant comme des partenaires privilégiés. Or ces groupes, dont les intérêts sont financiers, n’ont pas les mêmes buts que l’ONU dont la vocation est la paix et le progrès social dans le monde, et ils ne fonctionnent pas de manière démocratique comme l’Assemblée générale de l’ONU. Cela me paraît dangereux d’associer étroitement le secteur privé aux Nations unies.

Les Etats doivent contribuer davantage aux finances de l’ONU et respecter leur engagement de verser 0,7% de leur PIB à l’aide au développement. Enfin, l’ONU doit se saisir des grands problèmes de notre temps, qui sont des problèmes transnationaux : le problème de l’évasion fiscale, du terrorisme, du sort fait aux migrants et aux réfugiés, des mafias, des atteintes à l’environnement, et bien sûr des guerres et des guerres civiles. Les Nations unies doivent arriver à se réaffirmer comme les agences les plus légitimes pour traiter tous ces sujets, face aux instances concurrentes comme le G7, le G20, l’OCDE, l’OTAN etc., qui sont moins légitimes car moins démocratiques et universelles que l’ONU.

Le 03 Juin 2016
SOURCE WEB Par Jeune Afrique

 

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