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Pourquoi notre système politique, en plus d’être non démocratique, est inefficace…

Pourquoi notre système politique, en plus d’être non démocratique, est inefficace…

Légitimité, responsabilité, redevabilité : voilà les trois mots-clés qui fondent l’organisation et les rapports de pouvoir et de décision, parce qu’ils sont considérés les facteurs déterminants de l’efficacité, celle-ci étant avant tout mesurée par la capacité à atteindre les objectifs arrêtés dans les programmes. Or, c’est ce « tiercé gagnant » - parce que vertueux - qui fait encore défaut dans le système politique marocain.

Pourquoi, plus d’un demi-siècle après l’indépendance du pays, l’économie marocaine continue de « végéter » dans une sorte d’équilibre sub-optimal, avec des taux de croissance trop faibles et trop instables pour améliorer significativement le niveau de vie de la population ? Pourquoi les inégalités sociales et territoriales demeurent-elles aussi grandes ? Pourquoi les stratégies, les plans et les programmes se succèdent depuis cinquante ans sans jamais réussir à atteindre leurs objectifs proclamés ? Pourquoi cet entêtement à perpétuer les mêmes choix qui ont conduit aux mêmes échecs ? Comment les mêmes causes ont-elles obstinément produit les mêmes effets ? Comment l’économique s’est-il articulé au politique pour aboutir à cet état de fait d’une économie dont « l’émergence » tarde tant à venir ? En somme, quelle est la responsabilité du système politique dans le mal-développement du pays ?

La réponse à ces questions lancinantes réside principalement dans les tares du système de prise de décision en vigueur dans le pays depuis plus de cinq décennies. Autrement dit, elle est au cœur du système politique qui est celui d’une monarchie où le roi règne et surtout gouverne, disposant d’un pouvoir de décision quasi-absolu dans tous les domaines de la vie publique, à commencer par celles qui concernent la vie économique et sociale. Parce qu’il est autocratique, ce système est devenu inefficace, contreproductif, et pour ainsi dire l’obstacle majeur au développement du pays.

Légitimité + Responsabilité + Redevabilité = Efficacité

Le système de démocratie représentative, à l’échelle d’une organisation comme à celle d’un pays, est fondé sur une trilogie qui a fait ses preuves : Ce sont les urnes qui donnent sa légitimité au pouvoir exécutif, lequel met en œuvre son programme en en étant pleinement responsable, et en rend compte à l’issue de son mandat, devant les électeurs qui l’ont élu. Ce système a certes été adopté parce qu’il est « démocratique » mais aussi, et peut-être surtout, parce qu’il est efficace, ou du moins source d’efficacité. D’abord parce qu’un programme a d’autant plus de chances de susciter l’adhésion et mobiliser les énergies qu’il émane des besoins de la « base » et ambitionne de répondre à sa demande et à ses priorités  Ensuite parce qu’une une direction est d’autant mieux reconnue et fondée à gouverner qu’elle a été légitimée par le vote d’une majorité, sur la base d’un « contrat » formalisé à travers un « programme »  Par là-même cette direction est d’autant en mesure de mettre en œuvre son programme qu’elle en est pleinement responsable et dispose pour cela de tout le pouvoir de décision nécessaire  Et enfin, elle est d’autant incitée à tout faire pour tenir ses engagements et réussir son mandat qu’elle sait qu’elle est comptable de sa gestion, qu’elle sera régulièrement évaluée et contrôlée, qu’au terme de ce mandat, elle devra rendre compte à celles et à ceux qui l’ont élue, desquels dépend son éventuelle réélection…

Légitimité, responsabilité, redevabilité : voilà les trois mots-clés qui fondent l’organisation et les rapports de pouvoir et de décision, parce qu’ils sont considérés les facteurs déterminants de l’efficacité, celle-ci étant avant tout mesurée par la capacité à atteindre les objectifs arrêtés dans les programmes. Or, c’est ce « tiercé gagnant » –  parce que vertueux –  qui fait encore défaut dans le système politique marocain.

Au Maroc, et au-delà des programmes des partis politiques qui ne vivent en réalité que le temps que durent les campagnes électorales, le programme dont chacun peut constater la mise en œuvre au quotidien n’est autre que celui du Palais. Or, le « programme royal » n’a jamais été soumis au débat public et encore moins à une légitimation démocratique. Il est le programme du pays parce qu’il est le programme du Roi. Pour rester dans le domaine de l’économie, les « grands chantiers » comme les plans sectoriels, les Accords de libre-échange ou encore le « chantier du règne » qu’est l’INDH, n’avaient préalablement figuré dans aucun programme d’aucun parti politique. Tous ces « chantiers » avaient été décidés dans les arcanes du Palais royal et non dans les cabinets ministériels des gouvernements (et encore moins dans les partis qui les soutenaient). Ils ont ensuite été mis en œuvre sans être préalablement validés ni par le Gouvernement ni par le Parlement…

Toujours est-il que le « programme du Roi » sera mis en œuvre par un gouvernement qui n’en maîtrise en réalité ni les tenants ni les aboutissants. Il doit gérer tant bien que mal les conséquences de choix auxquels il n’avait guère été associé. Le plus souvent, c’est la monarchie qui doit annoncer les bonnes nouvelles et présider aux inaugurations, mais c’est ensuite le gouvernement qui doit gérer les déboires et affronter les échecs, dans un climat de dilution des responsabilités déconcertant. A titre d’exemple, le projet du TGV est aujourd’hui mis en œuvre par un ministre dont le parti avait clairement critiqué le lancement. Il doit aujourd’hui justifier ce qu’il considérait injustifiable hier. Il en va à peu près de même des accords de libre-échange, des accords sectoriels, de la défiscalisation de l’agriculture…

Enfin quand une législature s’achève et que, comme dans tout système de démocratie représentative digne de ce nom, le pouvoir exécutif doit rendre compte de sa gestion devant les électeurs, on assiste au Maroc à une situation surréaliste : D’un côté le « Palais », où réside le véritable pouvoir de la « monarchie exécutive », ne se présentant pas aux élections, n’a de comptes à rendre à personne  et de l’autre, le gouvernement ne se sent comptable que des « petites choses », car dès qu’il est question des stratégies et des grandes décisions lourdes de conséquences, chacun se hâte de tirer le parapluie des « Hautes Directives de Sa Majesté », ce qui a pour effet immédiat de clore le débat.

Ainsi, ce grand moment pré-électoral, précieux dans toute démocratie parce que ouvert à tous les débats et toutes les remises en cause, à l’évaluation des bilans, aux controverses sur les causes et les conséquences des choix opérés, sur les responsabilités des uns et des autres, les enseignements tirés de l’expérience et les alternatives proposés par chacun, ce moment tourne court au Maroc parce que le principal acteur politique du pays n’est pas « sur le terrain » mais « au-dessus de la mêlée ». Le Roi qui par ailleurs décide de tout, ou presque, n’est alors responsable de rien.

Le plus grave dans un tel système est que, puisque les stratégies et les grandes orientations royales ne sont pas discutables, elles ne font pas l’objet d’une évaluation critique, et même lorsqu’il arrive que par des voies détournées, celle-ci est faite, il ne peut en découler aucune remise en cause des choix fondamentaux ayant conduit aux résultats déplorés. C’est le cas par exemple de la plupart des Accords de libre-échange dont il a été question plus haut, et à propos desquels il y a aujourd’hui un consensus pour admettre leurs nombreux et lourds défauts. Oui, mais qui peut se hasarder à revendiquer la remise en cause d’une politique qui procède d’une « volonté royale » ? Qui peut oser, avec tout le respect qui lui est dû, dire au Roi qu’il s’est trompé, et qu’il est temps qu’il change de politique ?

Et c’est ainsi que les mêmes expériences plus ou moins malheureuses peuvent invariablement se suivre et se ressembler, que les mêmes choix conduisant aux mêmes échecs peuvent se perpétuer. En somme les mêmes causes peuvent éternellement produire les mêmes effets. Là réside fondamentalement cette incapacité « génétique » du système politique marocain à s’instruire de ses propres erreurs, à corriger ses mauvais choix, à générer les mécanismes autorégulateurs nécessaires, tirer les leçons de l’expérience pour avancer, s’améliorer. D’où ce sentiment d’immobilisme persistant…

Le système politique continuera de faire obstacle au développement tant que…

La Constitution de 2011 n’a guère apporté la réponse appropriée et tellement nécessaire au problème majeure qui a fini par faire du système politique de ce pays l’obstacle incontournable devant lequel bute tout effort de son développement. Par la grâce de l’article 49, qui attribue au Conseil des ministres (présidé par le Roi) le pouvoir de décision en ce qui concerne les « orientations stratégiques de la politique de l’Etat », se perpétue le « verrouillage institutionnel » au profit de la « monarchie exécutive ». Par la force des textes de loi donc mais aussi par la pratique quotidienne, c’est le Roi qui continue de décider les stratégies du pays, c’est lui qui reste maître des établissements publics les plus influents dans l’économie nationale, et c’est encore lui qui garde la haute main sur les Instances de contrôle et de régulation les plus importantes dans le paysage institutionnel. Concrètement, c’est donc lui qui décide de mesures qui peuvent accentuer le chômage ou le diminuer, dégrader le pouvoir d’achat de la population ou l’augmenter, plomber l’indicateur de développement humain ou l’améliorer, détériorer la compétitivité des entreprises ou la promouvoir…

Le Roi peut réussir ou échouer, avoir raison ou se tromper, être bien inspiré ou mal conseillé…  Bref, on comprend que le problème est certes dans cet accaparement du pouvoir de décision, mais qu’il l’est encore davantage dans le fait que, n’étant responsable devant personne ni redevable de ses actes devant aucune Institution ni aucun électeur, ne permettant même pas qu’on puisse « débattre » ses discours et ses décisions, le Roi n’est finalement pas « interpellable » et aucun mécanisme institutionnel ne permet de lui signifier les erreurs qu’il peut commettre et encore moins la nécessité de remettre en cause ses choix lorsqu’ils s’avèrent non fructueux.

Dès lors, comment le commun des citoyens, insatisfait de son sort, peut-il signifier à celui qui le gouverne son mécontentement, et son désir de le voir changer de politique ? Quelle autre possibilité lui reste-il s’il ne peut le faire par la voie démocratique universellement reconnue ? Là est le cœur de « l’équation marocaine », le problème de fond qui, tant qu’il persistera, fera que le régime politique actuel ne sera jamais une démocratie. Un pays en réel voie de développement non plus. Car les mêmes causes continueront de produire les mêmes effets, même si, naturellement, l’Histoire ne se répète jamais à l’identique : on élabore des stratégies dites « de développement » et on déploie des politiques économiques et sociales pour les mettre en œuvre, puis chacun peut bien constater que le résultat n’est rien moins qu’un échec, mais personne ne peut remettre en cause les « choix du Roi ». Et on continue donc sur la même voie, au besoin en changeant l’emballage, juste l’emballage… Puis à nouveau constat d’échec, et encore impossibilité de tirer les conséquences qui s’imposent de l’expérience passée pour faire de nouveaux choix, et ainsi de suite… Une succession de choix malheureux, suivis d’échecs douloureux, jamais sanctionnés par des changements courageux : ainsi pourrait être résumée l’histoire des politiques économiques du Maroc des cinquante dernières années.

Publier le 07.08.2017                                                                

Source web par  mobile.ledesk

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