Parfum de scandale dans une ferme royale
La situation de précarité absolue des ouvrières agricoles est de nouveau abordée dans le cas de la société Les Arômes du Maroc, filiale des Domaines agricoles, appartenant à la famille régnante, qui fournit des plantes aromatiques aux plus grandes marques de fragrances de l’industrie mondiale du luxe, dont Dior. Un compte-rendu syndical rappelle leurs conditions de travail « moyenâgeuses »…
« Saviez-vous que des parfums Dior, Zegna et d’autres grandes marques mondiales puisent leurs matières premières de fleurs marocaines ? », écrivait Le Matin à l’occasion d’une « immersion » dans l’imposant stand des Domaines agricoles (ex-Domaines royaux, totalisant quelques 12 000 ha), lors du SIAM 2016.
L’article expliquait que « le Maroc fait en effet partie du cercle fermé des fournisseurs mondiaux de plantes aromatiques et figure même parmi les leaders ». A ce titre, la filiale du groupe agroindustriel royal, Les Arômes du Maroc, « est depuis plus de 50 ans un fournisseur historique de la parfumerie fine mondiale », grâce à la qualité de ses plantes aromatiques, ses huiles essentielles et végétales, très prisées par l’industrie des arômes, du parfum et de la cosmétique.
Mais derrière cette belle vitrine « se cache la misère (… ) d’ouvrières et ouvriers agricoles (…) réduits à l’esclavage moderne et qui s’organisent et combattent quotidiennement pour arracher leurs droits et sauvegarder leur dignité », documente un compte-rendu de La Via Campesina, le mouvement paysan international, dédié à la ferme des Arômes du Maroc à Maâziz.
Travaillant dans la cueillette de plantes, fruits et bourgeons aromatiques, ces paysannes vivent une pauvreté extrême, « subissant des pratiques moyenâgeuses qu’on croirait révolues » : journées de travail surchargées (jusqu’à 14 heures par jour), rémunération en-deçà du seuil légal du salaire minimum agricole garanti (SMAG), travail forcé dans une exploitation voisine appartenant à un prince émirati…
Rémunérations dérisoires, faible couverture sociale
« La société recourt à un système de rémunération, interdit par la loi, qui combine entre salariat et travail à la tâche. La rémunération est définie non pas en fonction du nombre d’heures travaillées mais en fonction de la pesée des récoltes. En fixant des objectifs de cueillette impossibles à atteindre, la société fait en sorte que la rémunération n’atteigne pas le salaire minimal », accuse le texte qui produit à l’appui de ses constats des fiches de paie aux rémunérations dérisoires. Pire, ces forçats des temps modernes ne bénéficient que marginalement (autour de 10 %) de la couverture sociale de la CNSS, ou de la couverture médicale du RAMED.
« Pour garder notre travail, nous sommes obligées de faire d’autres tâches et corvées comme le nettoyage. Nous travaillons toute la journée dans la cueillette de bourgeons, très légers, que nous devons sélectionner pièce par pièce. Au meilleur des cas, le poids ne dépasse pas un kilogramme par personne et par jour alors que la société nous demande cinquante kilogrammes pour être payées à la journée. Nous recevons donc un cinquantième du salaire minimal journalier », témoigne une ouvrière.
Le cas des Arômes du Maroc ne fait pas exception. Le travail des femmes dans l’agriculture concerne principalement un travail familial non rémunéré ou un travail journalier saisonnier. « Les normes sociales confinent aux femmes certaines tâches dans un segment spécifique de la chaîne de valeur limitant ainsi leur accès à des opportunités meilleures et renforçant davantage leur situation précaire. A cause de la faiblesse de son capital humain, cette catégorie vulnérable sur le marché du travail rural est condamnée à rester dans le secteur informel et dans l’emploi non rémunéré », notait récemment une étude du Dr Bentaibi Abderrahim, chercheur en sociologie rurale et de développement, tandis que les lobbys professionnels font valoir que « les producteurs optent pour cette solution afin de combiner à la fois les exigences clients et celles des normes de bonnes pratiques agricoles avec le refus d’une large partie des ouvriers agricoles qui imposent l’activité à la tâche ».
Depuis des années, la Fédération nationale du secteur agricole (FNSA) tente d’organiser la lutte syndicale contre les conséquences de la réforme agraire qui a vu le transfert des terres de l’Etat au secteur privé dans une logique de rentabilité, mais négligeant bien souvent le volet social. Les grands groupes agricoles profitent d’une batterie d’incitations : subventions, exonération d’impôts, accès aux crédits, distribution des terre. « Ils ont absorbé la majeure partie des sommes d’argent public allouées dans le cadre de la politique du Plan Maroc Vert depuis son adoption en 2008 pour s’ériger en pôles phares appelés agrégateurs », explique dans un article détaillé Omar Aziki d’ATTAC/CADTM.
Les pressions exercées depuis le début des années 2000 ont certes abouti à une révision des cahiers des charges, mais leurs dispositions ne sont pas toujours respectées, « l’Agence de Développement Agricole (ADA), l’autorité tutrice des terres agricoles de l’État transférées au secteur privé, n’a pas un pouvoir de dissuasion », fait remarquer la FNSA. Les actions en justice demeurent ainsi lettre morte « étant incapable face aux géants du secteur privé, liés étroitement aux centres de décision économique et politique ».
Luttes syndicales contre pressions de lobbys
Dans le contexte des printemps arabes, l’année 2011 avait vu une poussée significative de la contestation des travailleurs organisés au sein de la FNSA, mais les sit-in de protestation ont été brisés par le recours à la force publique qui par le biais de l’article 288 du Code pénal qualifiant ces actions d’ « entrave à la liberté du travail », ont envoyé nombre de grévistes à la case prison.
« A mon sens, l’article 288 est une véritable atteinte à la liberté du travail, il a été abrogé des lois dans les pays modernes depuis 60 ans au moins. Cet article découle du code pénal, confectionné par deux juristes français d’extrême droite qui ont fait appliquer au Maroc, ce qui était impossible d’appliquer en France », déclarait en 2001, Abraham Serfaty, le célèbre opposant du roi Hassan II.
Résultat, malgré la mise sur pied difficile de quelques bureaux syndiqués et des négociations jugées stériles en 2016, le taux de syndicalisation parmi les ouvrières et ouvriers agricoles au niveau national ne dépasserait pas 0,5 %. Intimidations et licenciements sont largement usités pour écraser toute velléité d’affranchissement, sans compter les normes de sécurité quasi-inexistantes que ce soit dans l’exécution de leurs tâches, que lors de leur transport : les ouvrières, entassées dans des pick-up, sont régulièrement victimes d’accidents de la route…
Le 29 Décembre 2017
Source Web : Le Desk
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