Réforme du Livre V du Code de commerce: De multiples lacunes relevées par des juristes
Le projet de loi sur les difficultés des entreprises sera enfin soumis à l’approbation des députés lors d’une session extraordinaire du parlement, programmée pour le 27 mars prochain. Après plusieurs années d’attente et de multiples ajustements, la mouture actuelle demeure très incomplète et préoccupe fortement une partie de la communauté juridique. Lecture critique.
Malgré le temps et les efforts consentis, le projet de réforme du Livre V du Code de Commerce donne l'impression d’avoir été bouclé à la hâte. S’il figure à l’ordre du jour d’une session extraordinaire du Parlement, c’est en raison son importance dans l’amélioration de la note du Maroc dans le classement Doing Business. Selon nos sources, les instances gpouvernementales concernées sont conscientes des insuffisantes de la réforme proposée mais veulent faire vite en raison de l'urgence de boucler cette étape avant le lancement des travaux du prochain classement Doing Business.
Sur le critère du règlement de l’insolvabilité, le Maroc occupe le 134e rang sur 190 pays, bien loin du 69e rang tous critères confondus. Or, la Banque mondiale entame la collecte des données de son prochain rapport dès juin prochain…
De l’avis de juristes sollicitées par Médias24, la législation actuelle a largement démontré ses limites en matière de difficultés des entreprises. ‘’En réalité, le nouveau projet ne comporte aucune disposition indiquant que l’entreprise en difficulté sera sauvée, mais comporte en réalité des insuffisances qui ne peuvent conduire qu’à l’anéantissement du droit des créanciers à recouvrer leur dû’’ souligne Me Bassamat Fassi-Fihri, avocate au barreau de Casablanca. La crainte, c'est qu'il deviendra impossible, dans de nombreux cas, de recouvrer sa créance avant 15 à 20 ans au plus tôt.
Tel qu’il sera discuté en session extraordinaire le 27 mars prochain, le projet de réforme du Livre V ne comporte finalement pas de mesure à même de sécuriser la procédure de sauvetage d’une entreprise, tout en garantissant les droits de chacune des parties. En fait, il ne définit même pas clairement la notion de cessation des paiements…
>Ouverture de la procédure: les créanciers out
L’article 563 du Livre V, repris comme tel dans sa nouvelle mouture, précise que le créancier peut recourir à l’ouverture d’une procédure de redressement. Sauf que, dans la pratique, les actions déposées se heurtent souvent à des rejets, chaque juridiction posant des conditions que le texte actuel n’a jamais évoquées.
‘’Le projet devrait préciser le droit du créancier à intervenir volontairement dans une procédure de redressement ou de liquidation, pour solliciter une expertise comptable ou apporter ses observations à la procédure. Malheureusement, ces demandes sont rejetées quasi-systématiquement, le tribunal considérant que le créancier n’a pas qualité pour intervenir à l’instance, alors même que le Code de commerce en vigueur donne la possibilité au créancier d’ouvrir la procédure’’ déplore Me Zineb Laraqui, avocate au barreau de Casablanca.
Toujours au titre des ‘omissions’ du projet de loi, la possibilité pour un créancier de solliciter la mise en liquidation judiciaire - avec extension au patrimoine des dirigeants, lorsque le commerçant ou l’entreprise cesse son activité, sans qu’aucune inscription de transfert de cette activité ne figure au registre de commerce. ‘’Cela permettra de remédier à une situation anormale où des sociétés disparaissent, sans assainir leur situation juridique et au détriment des droits de leurs créanciers’’.
>L’art. 546, une échappatoire?
En pratique, des personnes physiques qui n’exercent aucune activité commerciale à titre personnel, introduisent des demandes de mises en redressement, ‘’au seul prétexte qu’elles ont consenti un cautionnement personnel à une entreprise, et alors même que l’entreprise débitrice principale ne bénéficie pas de cette procédure. Le projet devrait préciser que le texte s’applique à l’entreprise exerçant une activité commerciale, ou à un commerçant lors de l’exercice de son activité’’.
>Les magistrats sont-ils qualifiés?
Aucune expertise judiciaire préalable n’a été prévue par le nouveau texte, alors que les magistrats qui vont ordonner les procédures de sauvegarde, de redressement ou de liquidation ne disposent en pratique d’aucune formation ou compétence particulière en ce domaine.
‘’On voit assez souvent des magistrats accéder facilement à une demande de redressement, pour s’apercevoir quelques années plus tard qu’en réalité la situation de l‘entreprise était irrémédiablement compromise, qu’il aurait mieux fallu ordonner la liquidation sans passer par la phase longue du redressement’’ observe Bassamat Fassi-Fihri.
Pour la juriste, la nouvelle mouture du Livre V doit prévoir, dans le cadre des procédures de redressement ou de liquidation judiciaire, que le président du tribunal ne peut ordonner ni la sauvegarde ni le redressement ou la liquidation judiciaire, sans désignation d’un expert-comptable assermenté pour analyser la situation comptable, financière, et fiscale de la société en difficulté.
>Des procédures qui s’éternisent…
L’une des ‘innovations’ du projet de loi peut s’avérer préjudiciable aux intérêts des créanciers. A l’issue de la procédure de sauvegarde, le texte prévoit en cas d’échec l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
Or, ‘’on devrait directement passer à la liquidation judiciaire. Imaginons qu’une procédure de sauvegarde soit ordonnée avec un échéancier de remboursement sur 5 ans, et qu’à la quatrième année, le plan de sauvegarde échoue. Le texte prévoit alors la possibilité d’ordonner le redressement ou la liquidation. Un redressement, avec un plan de continuation sur 10 ans, peut échouer au bout de 8 ans pour défaut de paiement d’échéances. Ce qui enclenchera la liquidation judiciaire et une nouvelle décade de procédures. Au total, presque 25 ans se seront écoulées, sans que les créanciers ne puissent recouvrer leur dû, ni que l’entreprise ne soit sauvée’’ avertit Me Zineb Laraqui.
En outre, le texte prévoit la suspension des poursuites individuelles y compris à l’encontre de ceux qui ont consenti des cautions personnelles, même s’ils ne bénéficient pas de la procédure. Ainsi, ‘’aucune procédure de recouvrement ne pourra être entamée par les créanciers durant toutes les phases susvisées. Il aurait été souhaitable de cantonner cette suspension aux biens du dirigeant effectif, afin de lui permettre de se consacrer à sauver l’entreprise’’ recommande Me Fassi-Fihri.
>Dématérialisation, une fausse bonne idée?
L’article 545 du projet précise que toutes les procédures doivent être poursuivies par voie électronique selon les modalités prévues par un texte règlementaire’. Or, ‘’aucune juridiction commerciale n’est aujourd’hui en mesure d’adopter un suivi des procédures par voie électronique’’ fait observer Zineb Laraqui.
>Des syndics en roue libre?
Les praticiens s’accordent à reconnaître que le syndic est en grande partie responsable de l’échec des procédures collectives. Aucune formation particulière ou compétence n’est exigée, certains tribunaux nommant de simples greffiers en qualité de syndic. ‘’Un syndic doit justifier d'une formation complète, avec des connaissances en droit mais également en gestion d'entreprise, en finance et en comptabilité’’ estime Me Fassi-Fihri.
Qui plus est, le projet de loi n’a prévu aucun barème ni disposition relative à la rémunération du syndic, de sorte que celle-ci demeure sans règlementation particulière ce qui crée un climat d’opacité.
‘’Il est impératif de prévoir une peine pénale au syndic, en cas d’atteinte volontaires aux intérêts des créanciers ou de la société en difficulté, en utilisant à son profit des sommes perçues dans l’accomplissement de sa mission, en se faisant attribuer des avantages qu’il savait indus ou d’user de ses prérogatives dans un sens contraire aux intérêts des créanciers ou du débiteur’’.
Le 24 mars 2018
Source Web : Médias 24
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