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Qui est George Soros, le milliardaire détesté par la fachosphère?

Qui est George Soros, le milliardaire détesté par la fachosphère?

A 87 ans, l’Américain George Soros est l’un des hommes les plus détestés de la fachosphère. Ce spéculateur multimilliardaire d’origine juive, né en Hongrie, figure aussi parmi les plus grands philanthropes du monde, et attise les théories du complot les plus folles. Récit d’une épopée sous le feu des critiques.

“Soros était un SS nazi et ‘c’était la meilleure expérience de sa vie’, a-t-il dit. Voir la destruction et l’agonie autour de lui était euphorisant”. Sur internet, les théories complotistes peuvent aller très, très loin. Jusqu’à accuser George Soros, citoyen américain d’origine juive, d’avoir été lui-même nazi – alors qu’il n’avait qu’une quinzaine d’années lors de la Shoah.

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(“[Cet officier SS] est George Soros. Rappelez-vous ça la prochaine fois que les libéraux financés par Soros disent que vous êtes un raciste, un fasciste, ou un nazi!”)

Multimilliardaire, spéculateur de génie et avocat exalté de la démocratie, Soros est devenu le bouc émissaire parfait pour les populistes, nationalistes et démagogues de tout bord.

Cet homme au destin extraordinaire a survécu aux régimes nazi et communiste. Né György Schwartz à Budapest, son quotidien de bambin est bouleversé par l’occupation nazie, “l’expérience formatrice de sa vie”. Tivadar, son père avocat, obtient alors des faux papiers chrétiens pour sa famille, et lui trouve une planque où se cacher. Tivadar apprend à son fils l’art de la survie, tout en sauvant des dizaines d’autres Juifs.

En 1947, alors que les communistes consolident leur pouvoir en Hongrie, Soros fuit la “vague rouge”. Il immigre à Londres pour étudier, avant de s’envoler vers les Etats-Unis neuf ans plus tard. Là-bas, il devient un virtuose de Wall Street, gagnant des milliards en bourse. En 1984, le golden boy échappe à son sort de financier amoral en dédiant sa fortune personnelle à ses idées. Il lance alors en Hongrie l’Open Society Foundations (OSF), un réseau de fondations destiné à promouvoir les droits de l’homme et la démocratie.

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La une du magazine américain Time, le 1er septembre 1997. “George Soros et ses improbables croisades”. © Time Magazine

Un “homme d’Etat sans Etat”

Depuis, son “désir profond d’influencer l’histoire” l’a conduit à investir 32 milliards de dollars dans l’OSF. Muée en une “super-fondation”, cette organisation est présente sur les cinq continents, dans plus de 100 pays. C’est aujourd’hui le deuxième organisme philanthropique mondial – après celui de Bill et Melinda Gates. Mais contrairement au créateur de Microsoft, Soros s’est beaucoup impliqué dans les affaires politiques, militant en faveur des migrants, des LGBT+, des alternatives à la pénalisation de la drogue, ou du droit à mourir dans la dignité. Après avoir largement soutenu la transition démocratique des pays du bloc de l’Est, il s’engage désormais d’abord pour les Etats-Unis (19% des dons d’OSF), puis pour l’Afrique (14%) et l’Europe (10%).

Celui qui se définit comme un “homme d’Etat sans Etat” est l’objet de tous les fantasmes, accusé de projets secrets pour renverser la civilisation occidentale. C’est lui qui aurait orchestré les violences de Charlottesville, projeté de faire tuer 100000 Haïtiens, payé les manifestants de la marche pour les femmes lancée après l’investiture de Trump. Il serait aussi derrière l’épidémie d’Ebola et les émeutes de Ferguson en 2014.

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(“George Soros et ‘Bill et Melinda Gates’ sont derrière l’épidémie d’Ebola”)

“Ce personnage de roman cristallise sur sa personne toutes les passions tristes du Vieux Continent : xénophobie, antiaméricanisme, antisémitisme, haine du libéralisme”, écrit Rudy Reichstadt, directeur du site Conspiracy watch. Pourtant, cet homme de 87 ans aux ambitions incroyables est le chantre de la tolérance, hanté par une idée : faire avancer les “sociétés ouvertes”.

Spéculateur de génie ou “sangsue américaine”

En 1992, Soros devient la cible des complotistes comme “l’homme qui a ruiné la banque d’Angleterre”, soit une caricature des méfaits du libéralisme. Pressentant la faiblesse de la livre sterling, il parie contre la monnaie britannique, obligeant la banque d’Angleterre à la dévaluer et à sortir du système monétaire européen. Il empoche un milliard de dollars, via son fonds d’investissement devenu une machine à argent légale. 1000 dollars investis en 1969 vaudraient 4 millions de dollars en 2000. Alors qu’il est sacré gourou financier, il attire aussi ses premières critiques, qui lui donnent le doux nom de "“sangsue américaine” :

    “Si l'envie lui en prend, il peut déstabiliser l’économie de tout un pays, s’inquiète une page web hongroise expliquant ‘Pourquoi faut-il détester Georges Soros ?’. D’un seul claquement, il pourrait financièrement réduire en poussière la Hongrie, en ramenant la monnaie nationale à un quart de sa valeur par rapport aux autres devises. Celui qui est capable de commettre des choses pareilles n’est certainement pas un saint François d’Assise.”

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(“Soros, financier des manifestants – le mal, Lucifer”)

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(“George Soros n’est pas le meilleur financier, il est comme le voyou de la mafia, sans une vraie conscience!”)

Pourtant, George Soros lui-même “n’éprouve pas le besoin de défendre la spéculation”, allant jusqu’à critiquer la théorie du laissez-faire des marchés. Loin de l’image du spéculateur sans foi ni loi, le milliardaire rêve aussi de changer le monde et “d’avoir une tribune pour faire entendre ses idées”. Il défend corps et âme l’idéal de “société ouverte”, élaboré par le philosophe Karl Popper, dont il a été l'élève. Si lui-même se considère comme un “philosophe raté”, il répète à foison les arguments de Popper, pour lequel aucune philosophie ou idéologie ne détient la vérité absolue – d’où l’importance de défendre des sociétés démocratiques.

Un “ennemi public, détruisant la vie de millions d'Européens”

En 2015, la crise migratoire en Europe remet le spéculateur sous le feu des projecteurs. Connu pour soutenir généreusement les associations aidant les migrants via sa fondation, il publie en septembre 2015 une tribune enjoignant l’Union européenne à accepter au moins un million de réfugiés par an – avant de diminuer ce chiffre à 300000 en 2016. Même si ses recommandations n’ont pas été suivies, elles ont attisé l’ire des dirigeants des démocraties “illibérales” d’Europe centrale et de l’Est, qui l’accusent de tous les maux.

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(“Arrêtez George Soros, le parrain de l’islamisation de l’Europe”)

Selon le Premier ministre hongrois Viktor Orban, Soros représenterait un “risque pour la sécurité nationale”, un “ennemi public”, “attaquant la Hongrie”, “ayant détruit la vie de millions d’Européens”. Ironie du sort, Orban fait partie des 3200 Hongrois qui ont pu étudier à l’étranger grâce à des bourses d’OSF. La fondation a investi plus de 400 millions de dollars en Hongrie depuis 1984, mais n’est plus la bienvenue dans son pays natal.

Le retour du “Protocole des Sages de Sion”

En 2017, Orban dépense 100 millions d’euros dans une vaste campagne de propagande gouvernementale contre George Soros, gorgée de fausses informations. Dans des publicités, sur des affiches et dans une consultation nationale sur l’immigration, le milliardaire est attaqué pour un prétendu plan secret, baptisé “plan Soros”, afin d’accueillir au moins un million d’immigrants en Europe chaque année.

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(“La propagande gouvernementale anti-Soros [‘Ne laissez pas Soros avoir le dernier mot!] dans le métro de Budapest l'année dernière. Très subtile”)

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(“La nouvelle propagande gouvernementale dit que George ‘Soros voudrait installer des millions de migrants d’Afrique et du Moyen-Orient en Europe’. Nulle part, on ne peut échapper à ces affiches.”)

Au début du XXe siècle déjà, l’opinion publique fantasmait sur le “Protocole des Sages de Sion”, imaginaire programme secret établi par un conseil de sages juifs pour devenir “maîtres du monde” après avoir détruit la civilisation chrétienne.

En Hongrie, une campagne gouvernementale contre Soros

En Hongrie, la campagne menée contre le financier-philanthrope rappelle terriblement les séances des “deux minutes de la haine” contre le “traître Emmanuel Goldstein”, imaginées par George Orwell dans 1984. D’autant que la propagande d’Orban a bien marché, alors que “la plupart des Hongrois ne connaissaient pas George Soros il y a trois ans”, observe Corentin Léotard, rédacteur en chef du Courrier d’Europe centrale.

    “En décembre 2017, selon un sondage réalisé par la Fondation Szàzadvég (Fin de siècle), 88 % des électeurs hongrois rejettent la politique du soft-power de Soros, nous assure Julien Papp, historien franco-hongrois. On trouve inacceptable que des forces étrangères portent atteinte à la souveraineté nationale, en se servant d’organismes civils.”

L’antenne historique d’OSF à Budapest a ainsi été contrainte en mai dernier de déménager à Berlin, suite à une législation “Stop Soros”, imposant encore plus de restrictions sur les ONG. Un coup dur pour le milliardaire, au moment où l’Université d’Europe centrale de Budapest, qu’il a fondée en 1991, est aussi menacée par une nouvelle loi sur l’enseignement supérieur. “Nous ne savons toujours pas si nous pourrons rester à Budapest l’année prochaine, s'inquiète Eva Fodor, pro-recteur de l’université. Nous attendons l'accord du gouvernement.”

Le bouc-émissaire favori de la complosphère

Dans cette chasse aux sorcières, Soros est attaqué de toutes parts, de Vladimir Poutine à Donald Trump, de l’alt-right américaine à la fachosphère française. “C’est l'un des boucs émissaires favoris de la complosphère”, estime Rudy Reichstadt :

    “Un milliardaire juif américain, plutôt à gauche et qui finance des programmes de soutien aux minorités persécutées ne peut être qu'un comploteur au service d'intérêts inavouables.”

Surtout que l’homme d'affaires n’est pas seulement attaqué car il est mécène. Au contraire, “il cristallise sur lui plusieurs fantasmes complotistes, observe Reichstadt. Issu d'une famille juive, il est vu par certains comme une sorte d'agent ‘sioniste’, alors que son réseau de fondations soutient plusieurs structures pro-palestiniennes, voire antisionistes.”

Un marionnettiste au cœur du “complot reptilien”

Son engagement contre la colonisation israélienne lui a même valu d’être la cible d’une caricature antisémite, partagée sur Facebook par le fils du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Reprenant les codes classiques du dessin judéophobe, George Soros y est dépeint comme un marionnettiste, manipulant la vie politique.

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Mais surtout, George Soros y dirige dessus un reptile-humanoïde, allusion au complot reptilien. Selon cette théorie, les grands de ce monde (comme Barack Obama, Angela Merkel ou la reine Elizabeth II) seraient des aliens-reptiliens, grimés en humain pour diriger la planète. George Soros mènerait donc à la baguette les reptiliens de cette Terre, à moins qu’il ne soit un reptilien lui-même, comme le croient certains.

    Homo-capensis specie’s holographic disguise deteriorate with age to reveal true reptilian Draco form: Duchess Alba, Pope, Soros, Rockefeller. Draco reptilian aliens genetically created human-boar hybrid pig food so elites can keep DNA form until drinking of next human child blood pic.twitter.com/r0JFnUVKk2

    — Armageddon Apocalyps (@MissionaryJapan) June 10, 2018

(“Le déguisement des espèces homo-capensis se détériore avec l’âge pour révéler leur vraie forme dragon-reptilienne : la duchesse d’Albe, le pape, Soros, Rockefeller.”)

En étant l’un des plus grand donateurs du parti démocrate aux Etats-Unis, le philanthrope a aussi été dépeint comme le “puppet master” (maître des marionnettes) d’Obama ou de Clinton, dans des montages toujours plus inventifs. Virulent critique des présidents Bush et Trump, l’homme d’affaires a investi en 2016 des millions de dollars dans la campagne d’Hillary Clinton, tout en soutenant des opposants à Donald Trump.

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(“Soros, le maître des marionnettes de Satan, doit être condamné pour trafic des élections.”)

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(“George Soros contrôle tellement de groupes de haine libéraux que j’aurais besoin de dix pages pour imprimer tous leurs noms. [...] La plupart des démocrates sont ses marionnettes, tous essayent de discréditer le Président Trump avec des mensonges. Mais ils perdent la bataille.”)

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(“Soros se prépare pour la guerre avec Trump car la sorcière des Illuminati a perdu. Le néo-nazi George Soros devrait être arrêté pour crimes contre l'humanité.”)

L’avatar du mythe du complot juif international

Soros ne pourrait pas mieux incarner la nouvelle tendance de la judéophobie, nourrie par le mythe du complot juif international, dirigé par des financiers apatrides. “Né Hongrois, Soros est aussi un exilé et beaucoup de ses détracteurs voient en lui l'incarnation du mondialiste cosmopolite, sans frontière ni patrie”, nous confie Rudy Reichstadt. Le financier le reconnaît lui-même : “Si jamais il y a un homme qui correspond au stéréotype du Juif-ploutocrate-sioniste-bolchévique, c’est bien moi”.

Cet antisémitisme rampant ne s’arrête pas aux frontières de l’Hexagone. En mai dernier, l’hebdomadaire Valeurs actuelles s’est fait ambassadeur des complots sur le philanthrope, en titrant “Soros, l’homme qui complote contre la France”. Pêle-mêle, le journal d’ultra-droite a dénoncé “la machination Soros”, avant de l’incriminer comme un “militant de la submersion migratoire et de l’islamisme”, “artisan du déracinement”.

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(“La Hongrie d’Orban : l’UE et ‘le réseau mafieux de Soros’ cherchent à ‘islamiser l'Europe’”)

Soros, “l’homme qui complote contre la France” ?

Mais contrairement aux affirmations de Valeurs actuelles, ni la fondation de George Soros ni l’homme d’affaires lui-même n’ont une “influence tentaculaire en France” – elle n’y possède d’ailleurs pas de bureau. L’Europe de l’Ouest n’est pas la priorité de l’Open society foundations. “Nous dépensons le plus d’argent en Europe de l’Est et du Sud-Est”, nous certifie Jordi Vaquer, directeur régional pour l’Europe à OSF. En France comme dans d’autres pays occidentaux, la fondation s’engage contre le contrôle au faciès, pour “le mettre à l’agenda politique, et faire entendre les voix des victimes”, explique Jordi Vaquer.

Malgré les théories complotistes, OSF s’intéresse aussi dans l’Hexagone à des questions beaucoup moins politisées, comme celles de l’accès pour tous à la recherche biomédicale financée par des fonds publics. Et au contraire de toutes les rumeurs sur “la submersion migratoire”, la crise migratoire n’est pas la priorité de la fondation en Europe, encore moins en France. “Nous travaillons surtout dans les pays de première arrivée (l’Espagne, l’Italie, la Grèce)”, rectifie Jordi Vaquer.

Sur le Vieux Continent, l’organisation de Soros est devenue l’organisation privée donnant le plus d’argent à la cause des Roms. Avec 10 à 12 millions de personnes en Europe, ils sont la plus grande minorité ethnique du continent, et vivent “dans une situation de marginalité extrême”, s’offusque Jordi Vaquer. En France, en Hongrie, en Italie, en Suède ou encore en Roumanie, OSF finance nombre d’associations défendant leurs droits.

(“Quand les Roms prennent le pouvoir, voilà à quoi ressemble l’égalité et la prospérité”)

A 87 ans, pas de retraite en vue

Si certains prétendent que Soros gouverne le monde, les comptes de sa fondation ne sont pas à la hauteur de ces théories. Avec 1005 millions de dollars de budget mondial annuel en 2018 (850 millions d’euros environ), OSF dépense autant qu’une ville européenne de taille moyenne, comme Lyon ou Valence en Espagne. Mais à presque 88 ans, le milliardaire ne compte pas prendre sa retraite de philanthrope. En plus de diriger son fonds d’investissement Soros fund management, il travaille et voyage encore pour OSF, de plus en plus assisté de son fils Alexander.

Quand il quittera ce monde, la fondation lui survivra, “car les problèmes persistent”, nous livre Annette Laborey, ex-directrice des anciens bureaux parisiens d’OSF. L’année dernière, George Soros a ainsi légué à OSF 18 milliards de dollars, une somme exceptionnelle. Sa fondation ne compte pas non plus arrêter d’investir en Hongrie. “Soros a toujours prêché qu’il faut savoir se battre pour des causes perdues, se souvient Annette Laborey. S’il n’avait pas entrepris toutes ces actions, le monde serait peut-être pire.”

Le 16 Juin  2018

Source web Par Les Inrocks

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