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Manuels scolaires d’éducation islamique : la petite dose salafiste

Manuels scolaires d’éducation islamique : la petite dose salafiste

En février 2016, lors d’un conseil des ministres, Mohammed VI enjoint au gouvernement « de réviser les programmes et manuels d’enseignement en matière d’éducation religieuse », afin de diriger le contenu des curricula vers la voie d’un « islam modéré et du juste milieu ».

Cette ordonnance s’inscrit dans le cadre d’une série de communications et de décisions des autorités marocaines visant à mettre en avant l’image d’un Maroc doté d’un islam officiel modéré, à l’opposé d’un islam radical dont se nourriraient des groupements terroristes comme Daech ou Al-Qaïda.

Le Maroc ambitionne en effet de présenter à l’international une politique religieuse considérée efficace contre le radicalisme. Les premiers clients intéressés par cette offre s’avèrent être les pays européens abritant d’importantes communautés musulmanes, à commencer par la France, qui n’hésite pas à envoyer plusieurs imams se former à Rabat, au sein du nouvel institut créé dans ce but en mars 2015.

Au-delà des effets d’annonce, tout citoyen est en droit de s’interroger sur cette notion d’« islam de juste milieu » ou d’« islam modéré » prônée par l’Etat. Actuellement, peu d’études rigoureuses sont consacrées cette question. Quel est le contenu exact de la politique religieuse portée par l’Etat ?  Quel est cet islam ? En quoi est-il modéré par rapport à quel autre islam ?

Si on venait à s’y consacrer, chose faite*, on pourrait dans un premier temps être tenté de comparer ce discours officiel à l’islam réellement promu au sein du royaume, à commencer par celui enseigné dans les écoles marocaines. Menée à l’université de Strasbourg, cette étude nous pousse à formuler plusieurs conclusions, dont nous publions ici quelques menus détails.

Pour comparer l’islam enseigné avec l’islam tel que présenté dans les discours officiels, nous avons pris pour matériel des dizaines de manuels d’éducation islamique programmés durant l’année scolaire 2017-2018. Ces supports, sur lesquels se basent les enseignants, forment le cœur de la matière d’éducation islamique inculquée à l’élève marocain de la première année de l’enseignement primaire jusqu’au baccalauréat.

La première conclusion à faire serait qu’il subsiste, jusqu’à nos jours dans les manuels réformés en 2017, plusieurs incohérences entre l’islam de l’école nationale et l’islam des discours officiels.

Une certaine aversion du soufisme

Le premier exemple à retenir est celui de tout ce qui est en relation avec le soufisme et la spiritualité. Si on vient à décortiquer les manuels en question, on découvre que l’intégralité des allusions aux saints et aux mausolées y est faite de manière négative. Dans ces passages, tout ce qui pourrait avoir un lien avec le soufisme est donc présenté péjorativement. Tant au niveau des dogmes que des rituels cultuels, le culte des saints comporte, selon les manuels d’éducation islamique, plusieurs éléments considérés comme non islamiques. Cela va du respect des saints, prenant la forme de révérence devant les édifices des mausolées, jusqu’à certaines pratiques rituelles, à l’image du sacrifice de bêtes en guise de célébration et d’offrande au siyyed (saint).

Ce discours, quelque peu hostile, est paradoxal lorsque l’on sait l’importance des saints et des confréries religieuses au Maroc, comme le montre par ailleurs la prolifération des moussems drainant plusieurs milliers de pèlerins à chaque édition. Leur histoire au Maroc n’est pas récente et est sujette à plusieurs études sérieuses de la part d’ethnologues, de sociologues et d’anthropologues.

La place du soufisme n’est également pas ignorée au niveau officiel, sa mise en valeur s’avère récurrente même au sommet de l’Etat. Les discours officiels tendent à vouloir présenter le soufisme comme une dose de spiritualité dont tout islam aurait assurément besoin pour être modéré et se définir comme un rempart contre l’extrémisme.

« Substrats » du salafisme

Plusieurs questions méritent d’être posées concernant cette perception du soufisme, d’autant plus que l’actuel ministre des Affaires islamiques et des Habous, Ahmed Taoufiq, se dit clairement soufi. Comment la politique du gouvernement et, avec, à sa tête, celle de la Commanderie des croyants, se trouve être en opposition avec la politique du système éducatif, représentée par les manuels scolaires d’éducation islamique ? Diverses explications pourraient être présentées, mais nous en retiendrons une.

L’hostilité des manuels scolaires face aux mausolées et aux saints pourrait, a? notre sens, e?tre présentée comme étant l’un des « substrats » d’anciennes politiques religieuses de tendance salafiste. Durant plusieurs années, le salafisme, perçu comme apolitique, a été utilisé par les autorités au Maroc comme un moyen visant à contrecarrer les mouvements politiques d’obédience islamiste, à l’instar d’Al Adl wal Ihsane. Dans les manuels d’éducation islamique, on sent d’ailleurs clairement cette influence, étant donné que les mouvements à tendance salafiste sont connus pour diverses terminologies utilisées dans les textes que nous avons étudiés. Parmi les termes usités, on retrouve par exemple celui de « innovation blâmable », bid’a en arabe, dont ils usent pour critiquer tout apport nouveau selon eux, en matière religieuse.

Et si en 2016 et 2017, nous retrouvons encore quelques éléments de ce salafisme dans nos manuels scolaires, ce n’est pas anodin. A notre sens, s’il subsiste quelques restes d’anciennes politiques religieuses, c’est qu’elles prennent ici la forme de concessions de la part de l’Etat. Les réformes en matière d’éducation islamique ont a? chaque fois provoque? des contestations de la part d’une grande partie du corps enseignant, mais aussi de la part de mouvances salafistes. Conserver ces quelques contenus hostiles aux saints dans les manuels ne peut être donc qu’une concession faite par les réformateurs des manuels d’éducation islamique pour arriver a? leur fin, à savoir la présentation officielle de nouveaux manuels scolaires.

Comme à l’accoutumée, les pouvoirs publics préfèrent donc privilégier les effets d’annonce sans apporter de réelles nouveautés quant au contenu des réformes.

Soufiane Sbiti, journaliste, est également chercheur à l’université de Strasbourg. Il est l’auteur d’une étude sur les manuels d’éducation islamique au Maroc.

Publier le 24 mai 2018                                       

Source web par : le matin

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