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A Helsinki, la smart city à hauteur de citoyen

A Helsinki, la smart city à hauteur de citoyen

En matière de développement urbain, la capitale finlandaise a trouvé sa voie entre le tout-technologique et le tout-participatif.

Kalasatama, une section du quartier Sörnäinen d’Helsinki, en Finlande.

Cernés par les eaux calmes du golfe de Finlande, des immeubles de brique à l’architecture sagement contemporaine s’élèvent bloc après bloc dans un ciel de grues sur l’ancien port de Sörnäinen. Le quartier de Kalasatama (« port de ­pêche » en finnois) est l’un des principaux développements urbains d’Helsinki. Rien de futuriste à première vue, pourtant cette opération de 175 hectares est l’une des plus intéressantes tentatives, en Europe, de donner corps au nébuleux concept de smart city. « Nous avons choisi Kalasatama comme terrain d’expérimentations, une plate-forme de coopération et d’innovation pour la ville, les ­acteurs économiques et les ­citoyens, explique Anni Sinnemäki, l’adjointe (écologiste) au maire d’Helsinki chargée de l’urbanisme. Les innovations qui fonctionnent à Kalasatama, nous les propagerons ailleurs. »

La capitale finlandaise doit résoudre une ­délicate équation : la municipalité s’est fixé en septembre 2017 l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2035, alors même que sa population devrait bondir de 640 000 résidents aujourd’hui à 780 000 d’ici là. « Nous voulons construire des logements pour tout le monde, mais pour atteindre nos objectifs ­climatiques nous devons penser en termes de smart city, en prêtant attention à l’aspect social et pas seulement à l’innovation technologique », complète Anni Sinnemäki.

« Partenariat public-privé-population »

Le district convoque l’artillerie lourde de la ville durable. Kalasatama est desservi par le métro, et plusieurs lignes de tramway sont à l’étude. Tous les bâtiments ont l’obligation de se connecter au réseau urbain de chauffage et de climatisation alimenté par d’énormes pompes à chaleur récupérant l’énergie des eaux usées de la ville. La centrale souterraine de ­Katri Vala, enfouie dans une caverne creusée dans la roche à deux pas de Kalasatama, est la plus grande du genre au monde. Les constructions doivent aussi intégrer un smart grid ­ (« réseau intelligent »), qui va ­mutualiser l’électricité produite et consommée par le ­million de mètres carrés de logements et les 390 000 m2 de bureaux. Les exigences d’efficacité énergétique sont drastiques, les bâtiments doivent produire 30 % de leur énergie dès cette année et monter rapidement en puissance : Kalasatama veut afficher un bilan énergétique neutre en 2030, quand 25 000 habitants et 10 000 salariés peupleront le quartier…

Mais le plus intéressant n’est pas là. « Nous ne voulons pas juste faire des économies d’énergie : nous voulons nous centrer sur ­l’humain, la qualité de vie, les usages, créer un esprit de communauté », explique Veera ­Mustonen. La jeune femme travaille pour le Forum Virium, le département d’innovation de la ville ­d’Helsinki, une cellule de 35 personnes mise en place par la municipalité pour accélérer la mise en œuvre de la smart city. « C’est un partenariat public-privé-population : nous sommes là pour accompagner les grands groupes, les start-up, faciliter leurs expérimentations, les mettre en relation avec les services de la Ville, les centres de recherche, mais en ­incluant toujours les citoyens, qui sont ­cocréateurs et testeurs de toutes les innovations », ­explique-t-elle.

« Des villes comme Copenhague ont mis en place une grosse plate-forme de données sans réfléchir aux usages, c’est un échec »

Veera Mustonen, Forum Virium

L’idée directrice : la smart city doit faire ­gagner une heure par jour à chacun. « Quand des entreprises viennent nous voir avec une idée ou un produit, on leur demande toujours comment cela va libérer du temps aux gens », explique Veera Mustonen. Kalasatama veut ainsi incarner une « troisième voie » de la smart city, entre le tout-technologique – capteurs et Big Brother – et le « tout-baratin », sans action sur le terrain. « Des villes comme Copenhague ont mis en place une grosse plate-forme de données sans réfléchir aux usages, c’est un échec », estime Veera Mustonen.

Pour garantir l’utilité sociale des innovations, les habitants sont mis à contribution. Trois mille personnes vivent déjà à Kalasatama, 2 000 de plus les rejoindront dans ­l’année qui vient. Le Forum Virium multiplie les ateliers entre tous les acteurs pour faire remonter idées et réactions. Un millier ­d’habitants ont déjà pris part à une vingtaine de programmes pilotes depuis deux ans, pour tester en conditions réelles des solutions proposées par des start-up : application de pilotage de l’énergie, plate-forme de partage de la nourriture pour éviter le gaspillage, application de coaching sportif, autopartage de véhicules électriques, bague connectée pour surveiller la tension… tous les sujets sont possibles. « La participation des habitants, c’est aussi un enjeu d’éducation à la ­citoyenneté et à la démocratie, c’est important pour le fonctionnement futur du quartier et de la ville », défend Veera Mustonen.

Esprit de communauté

Cette place laissée aux citoyens s’invite ­jusque dans le programme de construction. Chaque bloc mêle tous les types de logements autour de cœurs d’îlots dont les jardins et jeux d’enfants sont ouverts à tous, loin de la passion française pour les grilles et les clôtures. Surtout, la ville soustrait une partie des parcelles à l’appétit des promoteurs et les ­réserve à des coopératives d’habitants pour qu’ils y conçoivent et bâtissent leur propre projet. Une demi-douzaine d’entre eux sont déjà construits ou à l’étude, poussant parfois loin l’esprit de communauté. Marjut Helminem peut en témoigner. Cette ancienne journaliste et toujours écrivaine vit depuis 2015 dans la résidence pour personnes âgées Kotisatama, entièrement conçue par les quelque 80 résidents de ses 63 appartements.

« Nous avons travaillé pendant quatre ans à définir les espaces communs et les appartements avec un architecte, raconte-t-elle. Ici, il n’y a pas de directeur ni d’employés, ce n’est pas une maison de retraite ! » Les habitants, organisés en équipes, font tout eux-mêmes à tour de rôle : préparer les repas pour tout le monde dans une cuisine professionnelle, ­entretenir et nettoyer les parties communes : le réfectoire, une grande bibliothèque, des bureaux partagés, une buanderie collective, une chambre d’hôtes, sans oublier, sur le toit, des salons, des terrasses et les incontournables saunas. « C’est beaucoup de travail, ­beaucoup de discussions parfois frustrantes pour aboutir à des décisions collectives, mais c’est aussi très chouette de s’investir et de ­continuer à apprendre des choses », apprécie Mme Helminem.

Economie du partage

Connectés au quartier par un écran numérique et des tablettes partagées, les résidents de Kotisatama prennent part aux expérimentations de Kalasatama. Comme les patients et les médecins du centre de santé ultramoderne ouvert en février. Comme aussi les parents de l’école voisine, dont les méthodes pédagogiques innovantes attirent des visiteurs du monde entier et qui s’impose, avec son architecture colorée, comme le cœur du quartier. Le président du conseil de l’école, ­Juhana Harju, consultant en affaires publiques, dirige aussi l’association des résidents de Kalasatama. « Les associations de parents et d’habitants sont essentielles pour créer un ­esprit de communauté et participer à la ­conception du quartier, estime-t-il. La smart city, ça doit être des services intégrés à la vie de tous les jours, ça ne doit pas être intrusif et ne pas demander trop d’apprentissage, la technologie doit rester en arrière-plan. »

Parmi ces services à haute valeur d’usage et à technologie discrète, la municipalité veut généraliser à Kalasatama une économie du partage appliquée aux espaces, publics comme privés, grâce à des systèmes de clés numériques et des applications sur smartphone : tous les parkings sont accessibles à des utilisateurs non résidents pour accueillir des places mutualisées et des véhicules électriques partagés ; des immeubles résidentiels comportent en rez-de-chaussée des espaces de coworking, des cuisines communes, des salles polyvalentes qu’il est possible de réserver et louer, pour une heure ou à la journée. Le système pourrait être étendu aux équipements publics, comme l’école, en dehors des heures de cours. « On a pris l’habitude de résoudre tous les problèmes en faisant couler du béton, mais en réalité il faut penser en termes de besoins et de services, donc de partage », défend Juhana Harju.

De béton, Kalasatama ne manquera pas. ­Volontairement dense, le district voit s’élever jour après jour le tout premier gratte-ciel d’Helsinki. Au total, huit tours de 20 à 37 étages doivent pousser au-dessus d’un gros centre commercial attendu en septembre, un ­ensemble qui a provoqué de vifs débats dans la capitale. « Les gratte-ciel sont en dehors du centre historique, et il y aura assez d’habitants à Kalasatama pour faire cohabiter un centre commercial et des rues animées », assure Anni Sinnemäki à l’hôtel de ville. Même à Helsinki, la smart city reste un compromis.

Le 09 Juillet 2018

Source web Par Le Monde

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