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SERVICE MILITAIRE : LE JEUNE, CE MAL-AIMÉ…

SERVICE MILITAIRE : LE JEUNE, CE MAL-AIMÉ…

Un service militaire obligatoire. Qu'en penser ? Qu'en dire passée la gifle d'une annonce lovée au beau milieu de l’indolence estivale ?  Il est dit que 300.000 jeunes rejoindront chaque année la grande muette pour gagner en droiture, en discipline, en patriotisme. Le grand réveil tant attendu, celui de l'emploi, de la dignité, de la redistribution, le mythe fédérateur qui insufflera une poussée d'énergie dans les voiles d'un bateau Maroc en stagnation est là et c'est… hélas, un emprunt du passé.

Il n'appartient à personne de dégonfler la bulle idéaliste des concepteurs de l'idée. Après tout un évènement de cette ampleur, fédérateur dans ses contours, révolutionnaire dans sa volonté d’encourager le brassage social n'est pas le pain quotidien de notre pays. Peut-être ce projet saura-t-il raviver les énergies dormantes de notre jeunesse jugée molle, velléitaire, violente, mal canalisée, mal dans sa peau, encline à l'errance.

Mais nous parlons là d’un service militaire obligatoire. Nous parlons là de sous-traiter à une armée professionnelle la gestion des Millenials, du dividende démographique, de l'unique richesse de la nation. Nous parlons là de livrer les jeunes sans différenciation aucune à un système de valeurs fortement hiérarchisé, instituant de fait l'autorité de fer comme valeur suprême, la soumission et l'obéissance comme lois d’airain.

Discipliner par le béret une jeunesse devant se trouver une place aux côtés des algorithmes, de l'intelligence artificielle, de la nouvelle économie du savoir dont le seul carburant est la capacité de s'affranchir des conformismes, des normes passéistes, des limites de la pensée, pour créer, fabriquer un avenir où 60 % des emplois actuels disparaîtront, est au mieux anachronique, au pis un terrible gâchis.

Certes, ce devoir national ne dure qu’une année et ses stigmates quand bien même vifs s’estomperont avec le temps (ou pas), mais le recours à l’encadrement de l’armée dans le redressement moral, physique, intellectuel de la jeunesse sonne comme une correction façon « Full Metal Jacket ». Il sonne comme le succédané d’une vraie politique d’inclusion du Millenial. Puisque l’idée d’un bootcamp semble obtenir les faveurs de l’Etat, pourquoi ces bootcamps ne prendraient-ils pas l’allure d’un service civique axé sur l’apprentissage du numérique à la façon de l’école 1337, cet oasis dans le désert de l’éducation qu’OCP a greffé dans la cité minière de Khouribga ? Des jeunes sélectionnés selon un test de logique, sans la discrimination d’un diplôme, s’y exercent au codage sur le modèle de l’école 42 de Xavier Niel. Employabilité garantie, ouverture sur l’autre, sur le monde et sur son réacteur nucléaire : Palo Alto.

Jadis élément fondateur de l’imaginaire infantile, adolescent, l’armée ne fait plus rêver. Vingt-cinq ans de paix, un monde radicalement transformé, numérisé, connecté, collaboratif, créatif, ont reprogrammé la psyché du jeune. Celui-ci, sujet à ce que Luc Ferry appelle « l’individualisme révolutionnaire », rêve désormais entrepreneuriat, worklabs, hackhaton. Il rejette le salariat et ses archaïsmes, les horaires et leur corset, les ordres distillés par une hiérarchie quinquagénaire ignorante des nouveaux codes de l’économie collaborative. Pour la toute première fois de l’histoire, la transmission ne se fait plus verticalement, le moindre petit stagiaire d’une grande entreprise ayant plus à apprendre au PDG que le contraire. Soumettre la génération Y à un devoir national contraint, étranger à la notion de volontariat, d’engagement convaincu, peut engendrer le rejet, le malaise.

En 2006, lorsqu’il fut mis fin au premier service militaire, Steve Jobs n’avait pas encore créé l’iPhone et ni Facebook, ni Twitter, ni Uber, ni Airbnb n’étaient nés. Depuis, le monde a basculé dans une dimension où la notion même d’emploi stable ne tient plus devant la fragmentation du travail, devant ce qu’on appelle la « gig economy ». Ce véritable big bang anthropologique, assis sur une liberté absolue et inaliénable, se situe aux antipodes de la tradition militaire, symbole d’un monde ancien, stratifié, où l’obéissance, le respect ne se gagnent pas, mais s’imposent. Or c’est vers ce monde-là que l’on veut propulser à nouveau les jeunes, ces éternels incompris.

Si on peut dégager les moyens de nourrir, vêtir et transmettre un savoir à 300.000 jeunes arrachés de leur cocon familial  (on parle de 40 MMDH par an, soit  4 % du PIB) on peut pour quelques mois seulement, sans freiner la trajectoire d’une vie et à moindre coût budgétaire, les armer devant l’économie digitale en les équipant non pas de treillis, mais de Mac, en leur apprenant non pas le maniement des fusils, mais celui des soft et hard skills du futur, en les cultivant, en leur enseignant les humanités, les sciences et l’histoire et les langues.

C’est ainsi qu’ils trouveront leur place parmi les innovations de demain, c’est ainsi peut-être qu’ils imagineront les innovations de demain, non en répétant tels des automates : « chef oui chef », le dos de la main soudé à un front moite d’effroi. Renvoyer le jeune au passé c’est le méconnaître, c’est penser que son chômage, que son apathie, que son détachement sont de son propre fait, c’est éviter de remettre en cause les politiques anti-émancipation, culturophobes qui l’ont ainsi réduit à squatter les façades d’immeubles décrépits en faisant tourner le joint, c’est en somme lui reprocher son mal, ses maux, ses tourmentes.

C’est mal le connaître

C’est mal l’aimer…

Réda Dalil

Source web par : le 212                 

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