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Aziz Rabbah dit tout Entretien avec le ministre de l’Équipement et du transport Par Farida

Aziz Rabbah dit tout  Entretien avec le ministre de l’Équipement et du transport  Par Farida

Bilan du voyage en Turquie et en Afrique, des réformes, des partenariats, de l’agenda législatif, la LGV, la réduction du budget d’investissement... Sa vision de la nouvelle configuration économique mondiale et de la nécessité de privatiser… Entretien.

Le Matin : Vous venez d’effectuer une visite de quatre jours en Turquie où vous avez été reçu par le premier ministre Recep Tayyip Erdogan qui dirige l’AKP, le Parti de la justice et du développement, et qui, comme Abdelilah Benkirane, est né en 1954 et, comme lui, aime le football. Ce ne sont pas, du reste, les seules ressemblances… Quel a été votre programme dans ce pays et pouvez-vous faire un premier bilan de cette visite ?

Aziz Rabbah : Je voudrais juste rappeler que ce pays de quelque 75 millions d’habitants, situé aux confins de l’Asie et de l’Europe et sur le tracé de routes et d’oléoducs d’importance stratégique, a connu une formidable avancée dans tous les domaines. La Turquie d’aujourd’hui, membre de l’OTAN, de l’OCDE, de l’OSCE, du G20, de l’OCI et candidate à l’UE, n’est pas la Turquie d’il y a une décennie, c’est un géant économique qui joue un rôle important à l’échelle régionale et internationale. C’est la 17e économie mondiale en terme de PIB qui a atteint quelque 800 milliards de dollars et qui prévoit un taux de croissance à 4% pour 2013, après avoir atteint un taux de 8,9% en 2010 – le troisième plus fort taux pour un pays émergent après la Chine et l’Inde. Malgré la crise mondiale, malgré son ancrage et ses connexions à l’économie mondiale, la Turquie résiste, ses performances restent impressionnantes comme j’ai pu le constater à travers les chantiers visités. Leur compagnie nationale, Turkish Airlines, est la première compagnie à l’échelle européenne. Leurs opérateurs économiques, leurs industriels, leurs produits sont partout, ils ont fait «exploser» leurs exportations, développé des canaux d’échange avec nombre de pays, dont ceux d’Afrique, traditionnellement liés au Maroc et à la France. Il faut donc se préparer à une concurrence très dure entre nous dans différents domaines.

La Turquie, une menace, mais aussi une opportunité. Cela ne vous fait-il pas peur ? Il faut rappeler que nos échanges se soldent par un déficit de 4 milliards de DH en faveur d’Ankara qui n’a investi, en une décennie, que quelque 350 millions de DH !
Aujourd’hui, avec la crise, la cartographie économique mondiale est en train de changer, il y a de nouveaux acteurs qui sont apparus, de nouveaux pays qui ont émergé, je pense à l’Indonésie qui réalise un taux de croissance des plus intéressants et qui s’impose à l’échelle régionale et mondiale. Certaines multinationales changent leurs plateformes et cherchent d’autres bases et relais. Nous avons besoin au Maroc d’être vigilants, d’avoir une veille pour suivre tous ces changements, nous avons besoin de conforter notre diplomatie économique pour que notre pays ait sa place dans cette nouvelle configuration.

Vous ne répondez pas à ma question...

Oui, la Turquie nous fait peur parce qu’elle s’attaque à nos marchés traditionnels, mais en même temps, elle est une opportunité pour le Maroc. La Turquie peut être une base logistique commerciale vers les pays asiatiques voisins, pays que l’on n’a pas pu conquérir. La Turquie peut être une base de redéploiement pour nous, comme nous pouvons l’être pour elle pour aller vers les pays africains. La Turquie, il est vrai, est une menace, mais c’est aussi une opportunité, à nous de maximiser les profits que l’on peut tirer de cette relation et de minimiser les menaces. La Turquie est en train de chercher des aéroports africains comme hubs pour Turkish Airlines, des zones industrielles... Les opérateurs économiques turcs s’installent en Tunisie, en Lybie… J’ai pu constater le bond en avant turc, la rigueur et la gouvernance qui sont des réalités et dans tous les secteurs. J’ai rencontré et discuté avec beaucoup d’hommes d’affaires, des responsables de fédérations, j’ai également rencontré M. Erdogan qui a annoncé sa prochaine visite au Maroc et qui souhaite, d’après mes informations, établir un partenariat stratégique avec le Maroc. Je me suis longuement entretenu avec mon homologue le ministre du Transport et nous avons préparé des protocoles d’accord dans les domaines maritime, aérien, ferroviaire et un protocole de coopération globale entre le Maroc et la Turquie dans les domaines du transport et des infrastructures. J’ai rencontré des hommes d’affaires dans ces secteurs qui ont construit des infrastructures, qui les gèrent et qui souhaitent être plus présents au Maroc. 

Ils le sont déjà, dans la construction des routes, des autoroutes, desbarrages... ?

Ils sont restés au niveau des appels d’offres classiques. Mais nous voulons aller plus loin, vers le partenariat public-privé, par exemple, qui peut être un modèle de management. J’ai eu l’occasion de visiter la ville de Gaziantep qui fait un chiffre d’affaires à l’export de 6 milliards de dollars, qui a une zone industrielle de 2 400 hectares et qui a réalisé l’année dernière un taux de croissance de 10% ! En tant que maire de la ville de Kénitra, j’ai signé un protocole de coopération avec le maire de cette ville et nous avons étudié la possibilité d’avoir une zone industrielle turque à Kénitra pour commencer. Aujourd’hui, avec la Turquie, nous avons un acteur économique qui s’impose, mais qui est en même temps une opportunité pour le Maroc. Les Turcs aiment notre pays, notre Roi et le peuple marocain. Il faut bâtir du solide sur cette relation d’estime réciproque et notre coopération pourrait être rentable pour toute la région.

Quel est leur ressenti par rapport au Maroc ?

Ils manifestent beaucoup d’intérêt pour notre modèle, porté par une feuille de route intéressant tous les secteurs : le Plan Maroc vert, le tourisme, l’énergie, l’industrie, l’habitat, l’éducation, la santé, le transport… Ils savent qu’il y a une vision, une visibilité et donc un marché. Ils veulent des joint-ventures avec des entreprises marocaines et sont rassurés quant au modèle politique de notre pays. Ils sont convaincus de la coopération multipartite maroco-franco-africaine, mais aussi maroco-turco-française… Ce sont des logiques qui commencent à se développer et, malgré la crise économique, le Maroc restera attractif.

En arrivant au pouvoir en 2002, Tayyip Erdogan a réformé en profondeur le pays qui était mal au point, ce qui a donné les résultats dont vous parlez. Les réformes dans ce pays ont touché tous les secteurs, dont celui des transports. Qu’en est-il des réformes que vous avez lancées dans votre secteur, celui du transport, étant entendu que votre prédécesseur Karim Ghellab avait aussi mené des réformes en profondeur ?

Je le dis et le répète, nous croyons au changement dans un cadre de stabilité et de continuité, nous ne sommes pas dans une logique de rupture. Nous consolidons les acquis, nous capitalisons sur ce qui a été réalisé en corrigeant les erreurs de parcours et en y ajoutant toujours plus de transparence et de gouvernance. Dans un monde de turbulences, voire de chaos, cette «philosophie» fait de notre pays un modèle à l’échelle arabe et africaine. Nous changeons ce qu’il faut changer dans le cadre de la stabilité, nous réformons dans le cadre de la continuité, en concertation plurielle et en bonne intelligence. Dans le domaine du transport, nous avons une vision qui porte sur plusieurs axes. Les réformes institutionnelles dans le domaine portuaire, par exemple, touchent le domaine régalien de l’État, l’ANP pour tout ce qui est régulation et contrôle, et les opérateurs comme Marsa Maroc et les autres. On veut généraliser la réforme au niveau de tous les ports. Nous travaillons aussi sur la réforme aérienne avec les différents acteurs : ONDA, RAM et les autres opérateurs. Il s’agit aussi de réformer dans le domaine de la sécurité. Nous avons proposé de créer une agence de sécurité du transport qui puisse regrouper en synergie ou développer les instruments, les méthodes et les procédures relatives à la sécurité dans les transports.

Le deuxième axe, ce sont les réformes réglementaires, les lois, les amendements qu’il faut apporter par exemple au Code de la route, au Code de l’aviation civile, au Code maritime… C’est une exigence nationale et internationale. Le troisième axe, c’est l’équilibre entre le développement des grandes infrastructures (ports, aéroports, autoroutes) et les infrastructures à caractère rural qui pourraient désenclaver des régions entières. Je fais référence par exemple à la route entre Marrakech et Ouarzazate, à la rocade dorsale entre Errachidia et Guelmim et à la route nationale entre Guelmim et Dakhla ! Si on réalise ou on améliore de tels tronçons, il y aura un impact à l’échelle nationale et ce sont des régions entières qui en bénéficieront. Le quatrième axe de réforme, c’est la qualité des services de transport et la sûreté et la sécurité. C’est bien de développer de grands chantiers, mais il faut encore veiller aux questions de la sûreté et la sécurité, aspects auxquels je suis très attaché, comme vous l’avez constaté lors du séminaire international consacré à la sécurité et la sûreté de l’exploitation ferroviaire organisé par l’Union internationale des chemins de fer (UIC) et l’ONCF.

L’autre axe important est celui du développement de l’industrie du transport : nous développons le ferroviaire, mais il faut qu’une industrie ferroviaire s’installe, de même pour l’industrie aéronautique, automobile et navale. Il faut développer la maintenance des avions et nous avons commencé avec Royal Air Maroc et Air France pour développer un hub africain. Dans le BTP, qui est lié aux infrastructures, nous avons beaucoup d’opportunités en termes de développement des matériaux de construction et des techniques nouvelles.

La stratégie de la logistique a été présentée en 2010, l’agence a été créée avec nomination d’un  directeur général. Nous avons un organigramme, les projets sont ficelés, les négociations sont en cours avec les partenaires, régions et secteurs. On remarque que de grands groupes s’installent dans notre pays, nous allons multiplier les partenariats, nous avons identifié le foncier. À Casablanca, il y a déjà 1 000 hectares et on recherche du foncier à Fès, Marrakech, Oujda et Agadir. Il faut aussi une synergie entre l’ONCF, Marsa Maroc, la SNTL et d’autres acteurs publics qui seront créés. Il y a d’autres axes qui font également appel au PPP (partenariat public-privé), ce qui permet d’impliquer le privé dans ces chantiers, qui mettent en avant les entreprises nationales afin qu’elles aient leur place dans les marchés. Des pays avancés ont instauré la préférence nationale. Il y a également la possibilité de concéder les infrastructures au privé, de la construction jusqu’à l’exploitation. En Turquie, 9 aéroports des plus importants sont gérés par des entreprises privées, c’est le cas aussi d’autoroutes, de tunnels, de chaines logistiques, de réseaux de chemin de fer, etc.

Avec la mort de Mme Thatcher, on se souvient que la privatisation des chemins de fer britanniques avait eu pour conséquence la multiplication des accidents. On n’est pas très rassurés ?
Le PPP est un concept, sa mise en œuvre doit être contextualisée. Pour éviter les dérapages, le gouvernement a préparé une loi sur le PPP qui va passer au Parlement et qui permettra un débat public et institutionnel. Il faut bien sûr un équilibre entre l’État et le privé, entre le service public et la rentabilité, entre les projets rentables et ceux qui ne le sont pas. C’est l’État qui définit la stratégie, les priorités, qui définit ce qui est concédable, qui veille à des formes de péréquation pour continuer à développer le monde rural par exemple, qui contrôle et veille à la continuité du service public...

Vous seriez donc favorable à la privatisation des aéroports au Maroc ?

Oui. Que fait-on dans un aéroport ? On construit et on gère les espaces. Ce qui n’est pas privatisable c’est la sécurité, le contrôle au sein des aéroports, mais la gestion des espaces commerciaux peut parfaitement être prise en charge par le privé. Le train régional peut être aussi privatisé. On a intérêt à développer de nouvelles formes de gestion pour attirer le privé. Nous avons lancé plusieurs études sur l’aérien d’ici 2030, sur le transport aérien domestique, sur le transport de fret qui doit être développé dans certains segments, même si le maritime domine largement à hauteur de 94%. En partenariat avec le ministère du Tourisme, nous avons lancé une étude sur l’aérien et le tourisme en demandant un focus sur les régions. 

Sur le maritime, il y a beaucoup de critiques, notamment en ce qui concerne le projet de 
loi, l’absence de pavillon marocain… 

C’est un secteur malade, un secteur qui souffre et nous en sommes pleinement conscients. On a libéralisé sans accompagner le secteur, on a fait beaucoup d’études sans mettre en œuvre les différentes recommandations qui en ont émané. Nous avons lancé la stratégie portuaire devant Sa Majesté le Roi, à Nador, pour assurer la présence du Maroc sur les deux côtes, atlantique et méditerranéenne. Il y aura la création de nouveaux ports, comme ceux de Nador, et bientôt celui de Safi, de Kénitra et de Dakhla, le développement ou requalification de ports en marina, par exemple, qui pourraient être des vecteurs de développement des villes.

On a aussi lancé l’extension de certains ports comme celui de Tanger Med, de Casablanca et d’Agadir. Nous voulons aussi développer tout ce qui est couplé au maritime, la construction et la maintenance, l’entretien naval et nous avons lancé la création d’un pôle de formation maritime et portuaire à l’Institut supérieur des études maritimes qui sera ouvert à l’international. On veut aussi développer le transport maritime. C’est vrai que nous avions des bijoux publics et des bijoux privés qui ont été bradés. Nous vivons une situation critique, mais nous essayons de tout mettre en œuvre pour une reprise des compagnies du privé. Nous avons lancé par appel d’offres pour une étude sur le pavillon national et le développement du transport maritime. Les lignes qui seront octroyées pour développer le transport vers l’Europe, le monde arabe, la Turquie et vers l’Afrique le seront à des compagnies nationales. Le cabotage, c’est-à-dire le transport maritime entre les villes, sera développé au Maroc. Nous sommes sur cette dynamique.

Dans la nouvelle configuration des routes maritimes, la Chine, «le grand atelier du monde», est partout présente en Asie, en Europe, en Afrique, mais pas au Maroc...
Nombre de pays et de multinationales recherchent des relais et des points d’appui partout dans le monde. Nous avons commencé à négocier avec la Chine, qui est présente dans la gestion de beaucoup de ports. Les Chinois font leur choix par rapport à la dynamique des routes maritimes mondiales et, dans ce sens, le Maroc, en tant que porte de l’Afrique, de l’Europe et du monde arabe, peut se positionner. 

À suivre le dernier conseil d’administration de l’ONCF, que vous avez présidé récemment on constate que le secteur ferroviaire est dans une bonne forme, en croissance sur le segment voyageurs et fret...

Il y a de bons résultats, mais il faut aussi dire que l’ONCF est sur les segments les plus rentables. On a intérêt à aller aujourd’hui vers les segments moyennement ou moins rentables, en réfléchissant à l’investissement et aux autres formes de subvention. Ce serait possible soit à travers des subventions de l’État, soit à travers l’adossement des projets ferroviaires à d’autres projets. Je fais référence aux zones logistiques, aux zones industrielles et aux zones touristiques. Certains pays ont développé le troc. Des entreprises qui développent des infrastructures se voient confier en contrepartie l’exploitation de mines ou du foncier. Il faut réfléchir et trouver de nouveaux modèles pour développer les segments les moins rentables. On peut demander par exemple à l’ONCF de développer la ligne Marrakech-Agadir et, en contrepartie, on peut lui confier 1 000 ou 2 000 hectares pour créer une zone industrielle logistique qui permet une rentabilité certaine. Même chose pour le domaine autoroutier. Une autoroute entre Marrakech et Béni Mellal ne serait pas immédiatement rentable, il faudrait réfléchir aux moyens d’intéresser les investisseurs potentiels en leur confiant des zones logistiques, du foncier pour construire des villes intégrées et durables et des zones touristiques. Rien n’est tranché, mais nous réfléchissons à ces nouveaux modes d’investissement déjà en place dans nombre de pays avancés ou en développement. Nombre de pays africains donnent des mines à la Chine, au Canada, à la Turquie, à l’Allemagne en contrepartie de réalisations d’infrastructures.

Le Maroc est-il prêt à emboiter le pas aux pays qui ont pris cette direction ?
Je ne suis pas conservateur en la matière. Il faut élargir nos horizons et réfléchir. L’État fait des appels d’offres pour acheter des infrastructures, mais il y a d’autres manières de faire, de concéder ou de subventionner. Il faut innover, repousser toutes les limites et étudier les autres expériences, rechercher d’autres formes de partenariat, en améliorant les cadres juridiques qui protègent l’investissement.

Vous êtes pour l’intégration du privé aux côtés du public. Avez-vous intégré cette culture dans le fonctionnement de votre département ?

Tout à fait. Les établissements publics qui font partie du secteur du transport et de l’équipement ont toute latitude pour chercher des partenaires. C’est le cas pour certaines activités. Je prendrais l’exemple de la RAM qui a vendu ses hôtels, qui cherche des opérateurs pour le handling, le catering, les services de restauration... Il faut passer à d’autres logiques d’exploitation et d’investissement. Je pense à Marsa Maroc, à la SNT, à ADM, à l’ONCF qui ont atteint une maturité certaine et qui peuvent chercher des partenariats privés pour avoir à la fois des financements, de l’expertise et pour mieux s’armer pour faire face à la mondialisation. On est un pays ouvert et nous sommes prêts à aller dans cette direction.

Ces sujets, notamment ceux du PPP, vous les avez évoqués lors de la dernière visite du Souverain au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Quel bilan peut-on faire dans le domaine de la coopération en matière de transport ?

J’ai été honoré d’être présent dans ces pays et je constate que le réflexe Afrique s’est installé, ce qui nous permet de renouer avec nos racines. Malgré tous les problèmes, l’Afrique connait une croissance dans nombre de domaines, je citerai par exemple les mines, mais les besoins en infrastructures sont immenses. Il faut construire des routes, des autoroutes, des ports, des aéroports... Des pays comme le Canada, la Chine et la France sont présents, nous avons aussi une place, d’autant plus que nous offrons à la fois l’investissement et le commerce. Nous avons signé des accords de transport terrestre, nous voulons développer le transport maritime, qui est un moyen privilégié de transport de marchandises. Des pays d’Afrique de l’Ouest, comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire, se positionnent en tant que plateformes logistiques pour les pays sans littoral et pour cela il faut développer des routes et des chemins de fer pour l’exportation. Le Maroc, qui est respecté et considéré comme un modèle qui s’adapte le mieux au contexte africain, peut-être, de son côté, une base logistique pour les pays africains. Pour cela, il faudrait accélérer nos échanges, importer des produits qui sont moins chers et bio et exporter nos produits.

Nous avons des relations historiques, une proximité culturelle et les événements du Mali ont donné raison au Maroc qui a fait le choix de l’autonomie et de la régionalisation dans le cadre de l’unité pour régler les différentes revendications.

Abordons, si vous le permettez, cette question de gouvernance et de transparence que vous avez décidé de faire avancer en publiant les listes des bénéficiaires des différents agréments de transport et de carrières de sable. Où en êtes-vous ?

Nous avons une nouvelle Constitution qui a souligné l’exigence de la transparence et de la bonne gouvernance et lié la responsabilité au principe de l’«accountabilité». Nous avons aussi une loi qui se prépare pour le droit à l’accès à l’information, nous avons un nouveau Maroc et nos concitoyens ne peuvent pas accepter qu’il y ait du brouillard dans la gestion des affaires publiques, que l’accès aux postes de l’administration se fasse sur des bases autres que celle de la compétence. Nous n’avons plus droit à l’erreur, nous avons des déficits abyssaux en matière sociale et de gouvernance. Nous avons intérêt, compte tenu des évolutions qui se font un peu partout dans le monde, compte tenu de notre nouvelle Constitution, à pallier les différents déficits. On a rendu publique la gestion de la chose publique. Chaque marocain qui voyage en autocar a le droit de savoir à qui appartient cet autocar. Désormais, et à chaque fois qu’il y aura un contrat, une autorisation, un accord, une convention, cela sera rendu public. Nous avons voulu rendre les choses transparentes dans le domaine des transports, des carrières, des appels d’offres et des marchés, des nominations, des recrutements, des conventions avec les entreprises nationales et internationales. Nous faisons les choses progressivement, mais nous devons le faire, car chaque citoyen peut aller en justice demander l’information au nom du droit à l’information. Cette évolution est irréversible, mais nous ne nous sommes pas limités à cela. J’ai publié un rapport sur les réalisations en 2012 relatives aux chantiers, aux infrastructures, aux décisions prises, à la restructuration des offices publics et de leurs filiales. J’ai ouvert le dossier des établissements publics en posant la question de la rentabilité des filiales qui peuvent être privatisées. Nous avons identifié quelque 60 filiales qui relèvent de l’ONCF, de l’ANP, de RAM… Nous les évaluons et nous travaillons sur un programme de rationalisation, d’optimisation, de mutualisation et de restructuration. Nous avons préparé la loi de la réforme des transports publics qui sera soumise au Parlement.

Qu’avez-vous décidé pour les carrières de sable, car vous avez été critiqué sur votre approche contre-productive ?

Oui j’ai été critiqué pour le fait d’avoir donné le nom des entreprises et non celui des personnes, mais je suis obligé de tenir compte aussi de celui à qui a été donnée l’autorisation. Ce secteur doit être ouvert à tout investissement, c’est un secteur qui doit être contrôlé financièrement et du point de vue de l’environnement. Il faut également créer une valeur ajoutée autour des carrières et c’est pour cela que j’ai lancé, avec les ministères concernés, les pôles de matériaux de construction autour des carrières. En fait, il y a trois types de carrières, celles liées à des projets locaux, celles où il y a de la valorisation, comme la carrière de Ghassoul qu’il faut ouvrir, et il y a les carrières données aux grandes entreprises qui ont gagné des marchés liés aux grands chantiers de l’État, pour construire les autoroutes, les ports, etc.

Venons-en à la réduction des investissements qui touche en premier lieu votre secteur. Le Parlement ouvre sa session sous le signe de l’urgence. Comment appréhendez-vous cette crise ?

Le gouvernement a décidé de réduire de 15 milliards de DH le budget des investissements. Le budget de notre département est touché, il sera réduit de 1,7 milliard de DH, mais il concerne plus le budget général des ministères. L’investissement des établissements publics ne sera pas touché. C’est le cas de l’ONCF, pour l’investissement dans la LGV et l’investissement dans l’amélioration des segments classiques, par exemple, le triplement des voies entre Kénitra et Casablanca, le doublement des voies entre Casablanca et Marrakech pour faire face à la demande, la modélisation des tronçons entre Fès et Oujda pour une plus grande sécurisation, l’investissement dans la modernisation des gares qui doivent être des lieux de vie. Ce sera le cas de la gare de Kénitra qui va être transformée pour disposer de tous les services, hôtels, restaurants... La réduction des investissements annoncés, c’est en fait reporter certains investissements pour l’année prochaine et s’atteler à la réalisation des investissements déjà programmés.

Vous n’êtes pas sans savoir que le projet TGV est décrié par la société civile ?

Soyons honnêtes, le TGV n’est pas un choix d’aujourd’hui, il a été discuté par le gouvernement de Youssoufi, par celui de Jettou qui l’a décidé et par celui d’El Fassi qui l’a lancé et il est actuellement suivi par le gouvernement de Benkirane. Si vous prenez la configuration de ces différents gouvernements, vous verrez que les différents partis politiques y sont parties prenantes. J’irais pour ma part encore plus loin : si j’avais le financement nécessaire, je ferais partout des TGV au Maroc, car la demande de toutes les régions est pressante et si nous voulons développer le transport entre les villes et les régions pour les désenclaver, il faut développer toutes les formes de mobilité : l’aérien, le ferroviaire, le maritime… Le projet de TGV va payer lui-même les différents prêts, sans faire de pression sur le budget et sans peser sur le budget des infrastructures rurales qui se chiffre aujourd’hui en milliards dispatchés entre routes, éducation, santé, projets d’agriculture, de l’eau, d’électrification... Les deux vont de pairs pour répondre à des besoins différents et complémentaires. Il reste qu’aucun bailleur de fonds ne financerait un projet qui ne serait pas rentable. La ligne de TGV Tanger-Casablanca est donc rentable, elle va drainer de la haute technologie, car il est inscrit qu’il y aura de la compensation industrielle. Nous allons lancer avec la partie française une niche sur l’industrie ferroviaire basée sur la ligne. Il y a également l’Institut international de formation ferroviaire qui a été lancé. Certains pays qui avaient stoppé des projets de lignes TGV sont revenus sur leurs décisions et en premier lieu la France et l’Espagne qui se sont rendu compte que c’est le meilleur mode de transport. Ne parlons pas de la Chine qui réalisera 16 000 km de ligne TGV à l’horizon 2020 ! Je le dis et le redis, si j’en avais les moyens, je lancerais partout des TGV au Maroc !

Il reste, monsieur le ministre, que nous n’avons pas les moyens et que nous entrons dans une période d’austérité ! 

Reste aussi la question de l’appropriation et l’absorption du savoir-faire technologique par nos ingénieurs...
J’ai totalement confiance en l’expertise nationale qui est reconnue à l’étranger. Nous voulons la renforcer, car l’un de nos objectifs est de l’exporter en Afrique. Autour de ce projet de TGV, on peut développer plusieurs niches, des bureaux d’études, des laboratoires, des expertises liées à la sécurité et la sûreté ferroviaire. D’où l’importance du prochain congrès qui sera organisé à Vienne sur la formation ferroviaire que nous suivrons avec intérêt et, juste après, une conférence africaine sur la formation en matière de sécurité et de sûreté qui aura lieu à Rabat.

Vous étiez, justement, à Tanger à ce séminaire international dédié à la sûreté et la sécurité de l’exploitation ferroviaire, organisé par l’Union internationale des chemins de fer et l’ONCF. Quel a été votre message ?

Qu’il faut continuer à développer les différents services de transport ferroviaire, développer tout ce qui est autour de ce transport. Je fais référence à l’économie de transport. J’ai aussi souligné l’importance du capital humain, sa formation, la valorisation de l’expertise nationale. Vingt-cinq pays étaient représentés et j’ai rappelé l’option stratégique de notre pays, à savoir l’ouverture. 

À propos de capital humain, des bureaux d’études vont organiser le 17 avril prochain, à Rabat, un séminaire pour initier un dialogue avec les acteurs, représentant tant le secteur privé que le secteur public et la société civile, pour également évaluer et apporter des réponses aux défis actuels de la technologie et de la mondialisation. Une réaction de votre part sur ce sujet ?

La dynamique que connait notre pays doit profiter aux entreprises et aux bureaux d’étude marocains. C’est un marché national, on a intérêt à développer l’entreprise nationale, tant au niveau des travaux que de l’ingénierie. Il faut aussi développer ce savoir et ce savoir-faire pour l’exporter. C’est pourquoi le gouvernement a revu récemment la procédure des passations de marchés qui bénéficie désormais aux entreprises nationales, mais aussi aux entreprises étrangères qui sous-traitent avec les entreprises marocaines.

Nous avons, d’autre part, préparé un nouveau contrat pour le programme BTP, pour encourager les entreprises du secteur, qui devront cependant se regrouper pour améliorer leur compétitivité et créer une force commerciale. 

Avec d’autres ministères et professions, nous sommes en train de revoir les systèmes de classification et de qualification des entreprises, les systèmes d’agréments qui seront dédiés aux entreprises qui valorisent le capital humain, l’innovation et la recherche.
Nous avons une nouvelle session parlementaire où le retard pris en matière d’agenda législatif ne manquera pas d’être évoqué et critiqué. Il faut impérativement accélérer le rythme. Il y a eu une première phase d’appropriation de l’esprit et de la lettre de la Constitution. Il faut d’autre part préparer les lois qui concernent la réforme de l’État, ce qui n’est pas un mince chantier ! Nous avons préparé le plan législatif et nous avons mentionné le timing des lois. Nous avons un agenda, un programme et des engagements.

Publié le : 13 Avril 2013 –SOURCE WEB Par Farida Moha, LE MATIN