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Maroc : Les lacunes de la gestion des catastrophes naturelles

Maroc : Les lacunes de la gestion des catastrophes naturelles

La crue d’un oued fin août a mis en lumière, s’il le fallait, les dysfonctionnements en matière de gestion des catastrophes naturelles. Les mesures pour déplacer les habitants des zones à risque tardent à venir, à l’instar d’une prévention encore trop lacunaire.

Des habitants regardent une route submergée par les eaux d’une crue près du sud de Marrakech, le 31 octobre 2012. / Ph. Abderrahmane Mokhtari – Reuters

Les autorités retiendront-elles les leçons qui s’imposent après la crue subite d’un oued, mercredi 28 août dans la commune d’Imi Ntiyare, tuant sept personnes en plein tournoi de football ? Le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, veut croire en tout cas que la réduction des impacts socio-économiques des crises et catastrophes naturelles passe par une «coordination efficace et efficiente au niveau arabe», ainsi qu’il l’a déclaré, mercredi à Marrakech, à travers le secrétaire général du ministère de l’Intérieur, Mohamed Faouzi, à l’ouverture des travaux de la 17e conférence des directeurs des organismes arabes de protection civile.

«On a pour l’heure une gestion des catastrophes naturelles en aval alors qu’elle doit se faire en amont : il faut faire de la prévention, et non pas de la gestion des catastrophes», soutient Abderrahim Ksiri, coordinateur national de l’Alliance marocaine pour le climat et le développement durable (AMCDD), contacté par Yabiladi.

«Il faut d’abord prendre toutes les dispositions pour ne pas se retrouver avec des habitations dans des zones à risque, notamment à travers des systèmes de contrôle rigoureux. C’est à ce niveau qu’il faut agir en premier lieu parce que c’est là que se font les erreurs», ajoute le spécialiste.

Dans un communiqué diffusé après la crue d’Imi Ntiyare, l’AMCDD recommande d’«évaluer les risques dans les zones montagneuses, les rivières, le littoral» et de «dresser des cartes régionales des zones menacées, à rendre publiques». Abderrahim Ksiri de poursuivre : «il faut absolument que les Agences urbaines se régionalisent afin de couvrir l’ensemble des espaces ruraux, et élaborent une carte des zones à risque. C’est ce qu’il manque aux petites communes : une expertise professionnelle.»

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) abonde dans le même sens. «Un enjeu clé de la prévention concerne la planification urbaine et l’aménagement du territoire : les documents d’urbanisme existants intègrent peu la question des risques au-delà d’une information indicative. Les schémas directeurs d’aménagement urbain sont des références de long-terme qui ont souvent été élaborés en l’absence de cartographie des risques», indiquait-elle dans une étude sur la gestion des risques au Maroc, menée entre décembre 2014 et mai 2016.

Et d’ajouter : «bien que les Agences de bassins hydrauliques et les Agences urbaines donnent des avis obligatoires aux communes, l’absence de cartographies précises et validées juridiquement constitue un point de blocage pour la mise en œuvre de mesures de prévention non-structurelles.»

Systèmes de prévisions hydro-climatiques

Dans le sillage de cette prévention, Abderrahim Ksiri préconise également le renforcement du système de veille et d’alerte au niveau des zones à risque, tout en l’adaptant au contexte marocain.

Dans son communiqué, l’AMCDD plaide pour une «révision des mécanismes de prévention, en particulier les méthodes d’alerte, en utilisant des moyens et style directs et compréhensibles par la population illettrée, au lieu de longs communiqués cryptés, et des moyens de communication large, capables d’informer à temps la population concernée, notamment via les téléphones portables qui connaît un taux de pénétration en milieu rural dépassant les 93%, plutôt que d’échanger du courrier entre administration par les voies classiques».

Des observations qui avaient déjà été formulées en avril 2016 par la Cour des comptes, dans une synthèse sur l’évaluation de la gestion des catastrophes naturelles. «Le Maroc dispose de réseaux (météorologique, sismologique, d’annonces des crues) et d’organismes pour la surveillance et l’information sur les phénomènes susceptibles de générer des catastrophes naturelles (…) Bien que ces réseaux soient opérationnels, l’analyse des profils des risques naturels a montré que le besoin en information n’est pas totalement satisfait afin d’assurer une meilleure anticipation et gestion des risques», soulignait-elle.

«Au-delà des prévisions météorologiques, je pense qu’il y a lieu d’investir davantage dans les systèmes de prévisions hydro-climatiques», qui lient l’hydrologie des masses d’eau et l’évolution du climat et de la météo, «c’est-à-dire les ressources en eau, les risques d’inondations, les prévisions des débits, qui vont bien au-delà des prévisions météorologiques», estime pour sa part Fatima Driouech, ingénieure, ex-cheffe du Centre national du climat à la direction de la météorologie nationale, et coprésidente du groupe de travail sur les bases scientifiques physiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). «L’expertise issue de prévisions hydro-climatiques peut apporter beaucoup en termes de gestion des risques.»

Un non-respect de la loi

Il y a aussi un autre front sur lequel le combat doit être mené : le respect des réglementations législatives. Sur ce point, Abderrahim Ksiri ne décolère pas : «on est en train de construire sur des zones à risque alors que la loi nous l’interdit. Les responsabilités sont diluées, les élus n’ont pas les compétences ni l’assistance technique nécessaires pour délivrer des permis de construction, ce qu’ils font quand même pour renforcer leur base électorale.» Exemple : en 2017, la cour administrative d’Oujda avait rejeté la plainte des habitants de Saidia contre le bétonnage de la plage pour la construction d’un café.

L’article 15 de la loi 81-12 sur la protection du littoral institue pourtant une «zone non constructible (…) d’une largeur de cent mètres, calculée à partir de la limite terrestre de ce littoral», précisant toutefois que «cette interdiction ne s’applique pas aux installations légères et amovibles nécessaires aux activités de production agricole et aux constructions ou équipements nécessaires au service public ou à des activités dont l’emplacement au bord de la mer s'impose en raison de leur nature».

Le non-respect des normes de sécurité en matière de construction contribue en effet à augmenter les dégâts engendrés par les catastrophes naturelles, indiquait également la Cour des comptes en 2016, de même que «la fragilité et la vulnérabilité des équipements et des infrastructures ; l’occupation non maitrisée du sol à l’intérieur des zones à risques telles les plaines alluviales inondables, les lits d’oued ; les agressions et les modifications que subit l’environnement».

Le 13 septembre 2019            

Source web Par Yabiladi

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