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#FAUNE_MAGHREB: Le Guépard

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Malgré ses pointes à 112 km/heure, le guépard saharien a pris le temps, début avril, de s’arrêter de nuit face caméra pour montrer ses taches emblématiques. Et, telle une star que l’on bisse pour un rappel, il est revenu de jour, devant l’objectif d’un « piège photographique ».

Une excellente nouvelle pour les naturalistes qui n’avaient pas pu photographier le félin Acinonyx jubatus hecki, sous-espèce du genre, depuis 2008. Ces images sont le fruit du patient travail des équipes de terrain du Projet des parcs culturels algériens (PPCA), qui ont assuré, du 15 mars au 9 avril, leur troisième campagne de recensement depuis 2017 dans le parc de l’Ahagaar, dans le sud-est de l’Algérie. « C’était le 23 mars et le 3 avril », précisait avec fierté Salah Amokrane, le directeur du PPCA sur la télévision algérienne.

« Avoir réussi à filmer le guépard saharien est une grande victoire, car il est très difficile à pister et à documenter », explique Abdenour Moussouni, responsable de la planification et de la biodiversité du réseau des parcs culturels algériens qui a participé à la pose et à la relève des 40 caméras trappes disséminées dans le désert de roches.

« Pour couvrir le domaine du guépard qui peut aller jusqu’à 1 000 km2, poursuit l’agent, on doit installer nos caméras à infrarouge environ tous les 10 km. Mais ici, il n’y a pas de réseau routier ! Certaines distances doivent être parcourues à pied ou à dos de chameau. »

Sans eau durant plusieurs mois

Il faut se figurer l’étendue de cette zone protégée de 633 887 km², plus grande que la Somalie. Un parc si vaste qu’il abrite le massif du Hoggar, que le mont Tahat vient coiffer de ses 2 918 m d’altitude, surplombant les champs volcaniques de l’Atakor et Tamanrasset. Au pied de ces montagnes d’un ocre incandescent, de vastes regs où s’égaillent acacias, oliviers, tamaris, palmiers et buissons d’artémisia ou de myrte.

C’est là que survit à l’état sauvage le guépard saharien, poursuivant ses proies favorites que sont la gazelle dorcas et le mouflon à manchettes. Redoutant des chaleurs qui dépassent les 40 °C, le fauve sort plutôt à la fraîche, de nuit ou au petit matin. Le prédateur, plus léger et plus petit mais aussi plus fragile que son cousin d’Afrique australe, est exclusivement carnivore. Capable de se maintenir dans des milieux particulièrement arides en se privant de boire pendant plusieurs mois dès qu’il a été sevré, il se contente de l’eau contenue dans la chair de ses prises, dont il est entièrement dépendant.

Ces preuves vidéo, rares, ne doivent pas occulter la tragique situation du guépard en Afrique, et tout particulièrement en Afrique de l’Ouest et centrale. Déjà en 2008, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) évaluait à moins de 250 le nombre d’individus répartis entre l’Algérie, le Niger, le Bénin, le Burkina Faso et le Tchad. A titre de comparaison, les populations d’éléphants sur le continent étaient estimées, en 2016, par l’UICN, à 415 000 individus.

« L’espèce Acinonyx jubatus, qui comptabilise désormais moins de 7 000 guépards (sauvages ou en captivité) sur tout le continent et en Iran, est considérée comme “vulnérable”, décrypte Florian Kirchner, de l’UICN. Notre guépard saharien, qui est la sous-espèce hecki, est lui “en danger critique d’extinction”. Il est sur la dernière marche avant la disparition totale. »

Les causes sont bien identifiées. La désertification pousse toujours plus de nomades touareg à se sédentariser et à mener leurs grands troupeaux de dromadaires et de chèvres pâturer dans des zones protégées. Petits et grands cheptels repoussent les populations d’herbivores comme les gazelles et les mouflons qui disparaissent à leur tour faute de pâturages.

L’utilisation du bois d’acacia, brûlé pour les besoins domestiques, contribue aussi à détruire l’habitat des espèces sauvages de l’Ahagaar, qui y trouvent normalement refuge, ombre et herbage. Ainsi disparaît l’un des seuls témoins du passage du guépard.

Car c’est sur le tronc de l’acacia ou à son pied que le fauve laisse la trace de ses griffes, crottes et empreintes de pattes. Des « arbres à messages » très utiles aussi aux naturalistes qui les analysent et les aident à déterminer où placer les caméras trappes.

« Avec l’observation de terrain, les crottes et les informations que contiennent ces vidéos sont parmi les seuls éléments qui nous renseignent sur l’état de la faune sauvage et de son habitat qui se réduisent toujours plus, explique l’Algérien Farid Belbachir, spécialiste du guépard saharien qui a réalisé les travaux les plus complets sur Acinonyx jubatus hecki cette dernière décennie, mais aussi sur leur cohabitation avec les Touareg.

« Il faut imaginer qu’au XIXe siècle, l’espèce était répartie sur tout le continent et bien au-delà, rappelle Florian Kirchner, de l’UICN. De l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique australe et, à l’est, jusqu’à l’Inde ! Et toutes ces zones étaient reliées. Aujourd’hui, plus aucune ne communique et, au-delà du continent, seul l’Iran abrite moins de cinquante guépards asiatiques [Acinonyx jubatus venaticus]. » Ce morcellement aboutit à raréfier les mélanges entre groupes et accélère le déclin de l’espèce par consanguinité.

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En orange, l’aire de répartition du guépard (« Acinonyx jubatus ») établie en 2008 par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Au XIXe siècle, elle s’étendait jusqu’à l’Afrique australe au sud et jusqu’à l’Inde, à l’est et toutes les zones étaient reliées entre elles. UICN

La surchasse des animaux de proie est un autre problème majeur, notamment en Algérie, où ils sont consommés en viande de brousse. Les guépards se mettent à chasser le petit bétail, et sont victimes des coups de fusil des bergers ou d’empoisonnement. Le braconnage aussi fait son œuvre. « La tendance forte à l’échelle continentale est au déclin, confirme Audrey Ipavec, spécialiste du guépard et du lycaon et coordonnatrice régionale du programme de conservation panafricain pour l’ONG américaine Wildlife Conservation Society et la Zoogical Society of London. Les guépards et leurs proies ont perdu plus de 90 % de leur habitat, malgré la création de zones protégées. »

« Une dynamique à inscrire dans la durée »

Pourtant, l’Algérie, signataire de toutes les conventions internationales de protection de la nature depuis 1968, est engagée depuis plusieurs années dans un travail de préservation de sa flore et de sa faune sauvages. Le pays le plus vaste du continent compte 107 espèces de mammifères, dont 47 sont protégées et 30 menacées de disparition ainsi que 336 espèces d’oiseaux, dont 107 protégées.

En 2009, le Projet des parcs culturels algériens (PPCA) est mis en chantier par le ministère de la culture en coopération avec le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). En 2013, la deuxième phase du programme est lancée qui étend aux cinq parcs algériens (Atlas saharien, Tindouf, Touat Gourara Sidiket, Tassili N’Ajjer) des dispositifs de recensement, de conservation et de valorisation de la biodiversité et du patrimoine culturel. C’est aussi toute une gestion collaborative avec les populations locales de l’écotourisme et des sites eux-mêmes qui a été mise en place. Le guépard est devenu le totem de cette politique.

Pour tenter d’enrayer son déclin, « il faut approfondir le travail de sensibilisation et de transfert de connaissances ancestrales des populations touareg, explique Abdenour Moussouni, du PPCA, qui met en avant la nécessité continuer à former des personnes-ressources localement, qui constituent des relais de vigilance aux postes de contrôle disséminés sur tout le territoire.

Farid Belbachir abonde mais n’y va pas par quatre chemins : « Une dynamique est enclenchée, et c’est un changement important qu’il faut inscrire dans la durée. Mais il faut surtout appliquer la loi, car l’Algérie s’est dotée ces dernières années de tout l’arsenal législatif nécessaire » pour stopper la surchasse, le braconnage et le recours aux armes.

« Aujourd’hui, certaines des modélisations les plus optimistes donnent le chiffre de 200 individus hecki, mais il faut être très prudent surtout avec le phénomène de consanguinité, explique Philippe Chardonnet, coprésident du Groupe de spécialistes des antilopes de l’UICN. Et quand il n’y a plus d’animaux à l’état sauvage, c’est le début de la fin. » Compte tenu de la taille de la zone protégée du parc de l’Ahagaar, « le massif du Hoggar est le dernier espoir pour la survie du guépard saharien », estime le chercheur.

Le genre Acinonyx souffre déjà d’une faible variété génétique, appauvrie encore par la réduction de son habitat. L’extinction du guépard saharien serait donc une catastrophe.

Contrairement au genre Panthera, qui se décline en espèces de tigres, lions, léopards, jaguars et panthères, Acinonyx ne compte qu’une seule espèce, le guépard, et seulement cinq sous-espèces, dont le guépard saharien. S’il meurt, c’est toute une lignée qui sera perdue à jamais et précipitera la fin des autres.

Le 07 juillet 2020

Source web Par : le monde

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