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Arabie saoudite : ce qu’il faut retenir de la visite de MBS en France

Arabie saoudite : ce qu’il faut retenir de la visite de MBS en France

Le prince héritier saoudien a été reçu pour la première fois à l’Élysée depuis l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en 2018. Docteur ès sciences politiques, Sébastien Boussois revient sur cette visite diplomatique critiquée, sur fond de crise énergétique.

Sur le perron de l’Élysée, c’est avec une longue poignée de main et des sourires que le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman (MBS) et Emmanuel Macron se sont retrouvés ce 28 juillet, à l’occasion d’un « dîner de travail ». Une rencontre qui a charrié son lot de polémiques, un peu moins de quatre ans après l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite d’Istanbul.

Directement mis en cause, le prince héritier saoudien a connu une longue période d’isolement sur la scène internationale. Deux ONG – Dawn et Trial International – ont d’ailleurs déposé, à l’occasion de la visite du prince héritier à Paris, une plainte pour complicité de torture et de disparition forcée contre Mohammed Ben Salman.

Seulement, la crise énergétique que subissent de plein fouet les pays européens, privés des imports d’hydrocarbures russes depuis le début de la guerre en Ukraine, a considérablement rebattu les cartes. Avec 23 % des réserves pétrolières mondiales, l’Arabie saoudite est un acteur économique incontournable. Une position cruciale, dont témoigne la visite à Riyad du président américain, Joe Biden, à la mi-juillet, alors qu’il avait promis de traiter l’Arabie saoudite en État paria.

Après la visite d’Emmanuel Macron à Riyad en décembre 2021, les relations diplomatiques entre la France et l’Arabie saoudite semblent reprendre à pleine vitesse. Le docteur ès sciences politiques Sébastien Boussois, spécialiste des relations euro-arabes, décrypte le sens de cette visite pour Jeune Afrique.

Jeune Afrique : La visite de Mohammed Ben Salman [MBS] entérine-t-elle sa réhabilitation, quatre ans après l’assassinat de Jamal Khashoggi ?

Sébastien Boussois : Le simple fait que ce soit sa première venue en Europe, et en France essentiellement, témoigne d’une forme de normalisation. Mohammed Ben Salman est en odeur de sainteté, c’est un retour en grâce, et lui-même doit être très content : il démontre que, quoi qu’il fasse depuis qu’il est prince héritier – que ce soit l’affaire Khashoggi ou la guerre meurtrière et sans issue au Yémen –, les puissances occidentales sont prêtes à passer l’éponge, puisqu’elles ont besoin de son pays.

Avec la crise énergétique, on ne peut se passer de l’un des premiers pays producteurs de pétrole au monde. Nous avons le choix entre la peste et le choléra, et nous avons préféré l’Arabie saoudite à la Russie. Quels que soient leurs tourments – la répression, les manquements aux droits humains, les guerres et les ingérences -, les relations entre la France et les pays du Golfe, en particulier le Qatar, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, sont fondamentales pour les uns et les autres. Sans compter que les échanges avec l’Arabie saoudite et les contrats d’armement passés avec Riyad sont essentiels pour le complexe militaro-industriel français.

Lors de la venue du président américain à Riyad, mi-juillet, le gouvernement saoudien a refusé de promettre une augmentation de l’offre pétrolière. La position saoudienne peut-elle évoluer après cette visite en France ? Sous quelles conditions ?

En augmentant la production pétrolière de son pays, MBS se retrouverait confronté à un triple problème. Cela ferait d’abord baisser le cours du pétrole, qui est sa principale source de revenus puisqu’il n’y a à ce stade pas de diversification suffisante de l’économie saoudienne. De plus, l’OPEP+ étant coprésidée par la Russie et l’Arabie saoudite, et celle-ci achetant du mazout à la Russie, elle ne va pas se froisser avec son partenaire. Enfin, le royaume n’a pas les infrastructures nécessaires. Il ne peut pas augmenter du jour au lendemain sa production de pétrole.

Nous ne sommes pas les seuls demandeurs dans cette visite. MBS est venu trouver des investisseurs pour ses infrastructures pétrolières mais aussi pour son projet Neom, une ville futuriste démesurée dont il peine à boucler le financement.

Quant à Macron, il a toujours aimé avoir la capacité de parler avec les plus grands, qu’importe la place moindre de la France dans le concert des nations. Même s’il pense pouvoir discuter avec MBS, entre « jeunes », ce dernier ne peut accéder à sa demande, il risquerait de voir tout le monde frapper à sa porte. Le prince héritier saoudien essaie de trouver les accords bilatéraux les plus intéressants, mais s’il ne cède pas aux États-Unis – partenaires historiques de l’Arabie saoudite à tous les niveaux depuis 1945 –, pourquoi le ferait-il pour la France ?

La question de l’accord sur le nucléaire iranien a été soulevée par les deux dirigeants. Quelles sont les demandes de Riyad sur le sujet ? L’Arabie saoudite se montre-t-elle plus disposée à négocier avec l’Iran vu le retrait américain ?

Les accords d’Abraham de 2020, entre Israël et plusieurs États arabes, ont isolé encore un peu plus l’Iran sur le plan régional. L’objectif de l’Arabie saoudite est plutôt de saborder cet accord et de gagner du temps, dans l’espoir que les républicains reviennent à la Maison-Blanche en 2024. Le retour de Trump serait du pain béni pour MBS, les démocrates étant davantage tenus par leur électorat de mettre la question des droits humains dans la balance dans leurs relations avec le royaume.

Qui plus est, l’Arabie saoudite est plus intéressée par un rapprochement d’Israël que par un deal avec l’Iran et le Conseil des Gardiens de la révolution islamique, qui demeure sur la liste américaine des organisations terroristes.

Mi-juillet, c’est Mohammed Ben Zayed (MBZ), le dirigeant des Émirats arabes unis, qui s’est rendu à Paris. Après la visite ratée de Biden à Riyad, la France cherche-t-elle à retrouver son influence – ou à récupérer la « place » des États-Unis auprès des pays du Golfe ?

Le retrait américain a déjà été comblé. En partie par des « puissances prédatrices », selon l’expression du stratégiste François Heisbourg, comme la Russie, mais qui sont en difficulté aujourd’hui. Nous assistons surtout à l’émergence ou au retour des puissances régionales – Iran, Arabie saoudite, Israël et Turquie, dont les luttes d’influence attisent les tensions dans la région et pourraient remettre en question l’équilibre de la zone.

Mais l’influence occidentale, surtout américaine, de fait, même si elle est moins directement visible sur le terrain, demeure importante par le biais du dollar et des accords de coopération militaire.

Le 29/07/2022

Source web par : jeune afrique

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