Le big-bang diplomatique de Mohammed VI
Le roi Mohammed VI, lors de l'inauguration de la centrale solaire Noor 1, le 4 février.
C’est un big-bang diplomatique. Jamais Mohammed VI n’avait lancé un tel mouvement d’ambassadeurs. Nos confrères de Media24 en recensent 78, des sources gouvernementales n’en confirment que 66. Dans les deux cas, il s’agit de l’écrasante majorité des 91 représentations diplomatiques du royaume.
Samedi 6 février, à Laâyoune, la ville la plus peuplée du Sahara occidental et où il se rendait pour la deuxième fois en trois mois, Mohammed VI a présidé un conseil des ministres et remanié en profondeur son appareil diplomatique. Ces nominations couvrent les cinq continents et prouvent que la priorité de la diplomatie marocaine reste la question du Sahara, la « cause nationale ».
Filière d’ex-militants du Polisario
Il y a trois mois, pour le quarantième anniversaire de la Marche verte, le royaume s’était paré de vert et de rouge, dans un déploiement de patriotisme à tous crins, mais à domicile. Aujourd’hui, le Maroc exporte son irrédentisme sahraoui, en faisant appel à des envoyés d’un genre nouveau. Les affaires étrangères demeurant le domaine réservé du roi, le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane a confié ne pas connaître dans les détails les profils des nouveaux ambassadeurs.
Malgré cette discrétion, deux profils se dégagent, au-delà des diplomates de carrière et des promotions. D’un côté, des militants des droits de l’homme, cooptés par le pouvoir. De l’autre, des politiques (parfois élus de leurs partis) qui pourraient gêner leurs patrons. La nomination d’anciens opposants aux plus hautes fonctions n’est pas une nouveauté. Parmi les diplomates, il y a longtemps eu une filière d’ex-militants du Polisario, le mouvement indépendantiste qui, depuis l’Algérie voisine, demande l’autodétermination du Sahara occidental. « Repentis » selon la terminologie officielle, d’anciens séparatistes étaient ainsi devenus les avocats de l’« intégrité territoriale » du royaume. Sans grand succès. Aujourd’hui, les ex-gauchistes servent le même propos. C’est pourquoi ils sont envoyés dans des capitales qui pèsent sur le dossier du Sahara occidental.
Deux figures de la société civile sont ainsi pressenties pour des pays d’Europe du nord : la Suède pour Amina Bouayach, secrétaire générale de la FIDH, première femme présidente d’une grande association des droits humains et le Danemark pour Khadija Rouissi, députée et sœur d’un disparu emblématique du règne de Hassan II.
Le roi du Maroc, Mohammed VI nomme Ahmed Ould Souilem, un deserteur du Polisario, comme ambassadeur du royaume en Espagne, le 26 novembre 2010.
Le choix de militantes des droits de l’homme n’est pas fortuit pour contrer l’activisme croissant des pro-Polisario en Europe du nord. Récemment, Rabat a dû hausser le ton afin d’éviter une reconnaissance de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) par le gouvernement social-démocrate suédois. En dépêchant, à Copenhague et à Stockholm, deux militantes de gauche, engagées dans le processus de justice transitionnelle et disposant de connexions internationales, Mohammed VI veut faire passer un message : le Maroc a changé.
Politique d’ouverture dans la diplomatie chérifienne
Depuis le règne réformateur mais agité de Moulay Hassan (1873-1894), l’arrière-arrière-grand-père du roi actuel, on sait que « le trône des Alaouites est sur les selles de leurs chevaux ». Mohammed VI a ainsi délocalisé tout l’appareil administratif du royaume pour un conseil des ministres à Laâyoune. Depuis 2012, il y a quatre conseils des ministres par an, en moyenne, présidé par le roi, qui entérinent les « orientations stratégiques de la politique de l’Etat ».
L’annonce du 6 février montre que le souverain a perçu les signaux d’alerte émis sur le dossier du Sahara occidental. Depuis des années, la diplomatie marocaine ferraille contre le projet d’étendre le mandat de la Minurso – la mission onusienne au Sahara occidental – à la surveillance des droits de l’homme. La diplomatie algérienne en a fait un cheval de bataille et l’Union africaine, comme souvent depuis que la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma a pris la présidence de la Commission en 2012, lui a emboîté le pas. Au Conseil de sécurité, le Royaume-Uni n’a jamais caché son soutien à un « monitoring permanent des droits de l’homme ». En avril 2013, l’ambassadrice américaine à l’ONU, Susan Rice, a proposé une résolution dans ce sens et le Maroc a dû interrompre sa coopération militaire avec les Etats-Unis pour obtenir un compromis.
C’est dans ce contexte sensible que le Maroc envoie deux anciens prisonniers politiques comme ambassadeurs à Londres et à Pretoria. On imagine Abdeslam Aboudrar prenant le thé avec Jeremy Corbyn, le nouveau chef des travaillistes britanniques, farouchement engagé auprès des militants indépendantistes sahraouis. Militant d’extrême-gauche, Aboudrar a passé cinq années en prison sous Hassan II. Haut fonctionnaire, fondateur de l’antenne marocaine de Transparency International, il avait été nommé par Mohammed VI, en 2008, président de l’Instance centrale pour la prévention de la corruption. A Pretoria, une tâche similaire attend son camarade de la prison centrale de Kénitra Abdelkader Chaoui. Professeur de littérature arabe, il a passé quinze années en prison. Il y a écrit plusieurs ouvrages, avant de devenir journaliste à sa libération, puis de rejoindre la diplomatie. Il était, depuis 2008, ambassadeur au Chili.
Cette politique d’ouverture au sein de la diplomatie chérifienne s’étend à des politiques, dont les anciens ministres socialistes Mohammed Ameur et Ahmed Reda Chami, qui sont nommés respectivement en Belgique et auprès de l’Union européenne. Ils sont en froid avec la direction de l’Union socialiste des forces populaires (USFP). La députée de l’Istiqlal Kenza Ghali est envoyée au Chili. M’hammed Grine, du bureau politique du parti du progrès et du socialisme (PPS) ira à Beyrouth. Toutes ces nominations, dont personne ne conteste les compétences, ne pouvaient mieux tomber pour les chefs de parti qui éloignent durablement d’éventuels rivaux. A l’approche des législatives prévues en octobre prochain, le roi montre aussi qu’il peut définir l’agenda politique.
Le 09 Février 2016
SOURCE WEB Par Le Monde
Les tags en relation
Les articles en relation
En marge de la délégation ministérielle à Al Hoceima, Zefzafi prépare une «marche millionnienn
En l’absence de Nasser Zefzafi et les siens, une délégation ministérielle s’est réunie à Al Hoceima avec les élus et des membres de la société civil...
La Zambie confirme le retrait de sa reconnaissance de la "RASD"
Le ministre des Affaires étrangères de la Zambie, Harry Kalaba, a confirmé sa déclaration du 9 juillet 2016 concernant le retrait par la Zambie de sa reconn...
19 conventions et accords signés entre le Maroc et le Rwanda
Alors que le roi Mohammed VI se trouve dans la capitale rwandaise Kigali depuis mardi, accompagné d'une importante délégation, où il a été reçu par l...
Une commission de haut niveau pour inspecter “Taghazout Bay”
Après une visite royale surprise à certains projets touristiques à Agadir, une commission de haut niveau s’est rendue au projet “Taghzout Bay”, a-t-on ...
Mohammed VI bientôt en visite en Mauritanie?
C’est l’hebdomadaire Jeune Afrique qui annonce la nouvelle. Le roi Mohammed VI aurait donné son accord de principe en vue de sa participation au 31ème Som...
La cheffe de la Minurso échoue à convaincre le Polisario de se retirer de Guerguerate
La cheffe de la Minurso a effectué, hier après-midi, une visite dans les camps de Tindouf. La Canadienne Kim Bolduc, accompagnée du général chinois Wang Xi...
Köhler pousse à des négociations directes Maroc-Polisario avant fin 2018
Dans son rapport d’information présenté devant le Conseil de sécurité le 21 mars faisant état de ses récentes consultations, l’Envoyé personnel du Se...
Macron se réjouit du rôle «croissant » joué par le Maroc en Afrique
Le président français, Emmanuel Macron, s’est réjoui, mercredi à Rabat, du rôle «croissant » joué par le Maroc en Afrique, soulignant que Rabat et Par...
Sahara marocain: l’appui à l’Initiative d’autonomie résonne au Conseil de sécurité de l’
Le soutien à l’Initiative d’autonomie pour le règlement définitif du différend régional sur le Sahara marocain, présentée par le Maroc en avril 2007,...
Le trouble jeu de Sissi à l'égard du Maroc
Même pour les fins connaisseurs de la relation entre le Maroc et l'Egypte, il y a de quoi perdre sa boussole diplomatique. Le Caire connaît bien le degré...
S.M. le Roi Mohammed VI et le Souverain du Royaume hachémite de Jordanie inaugurent à Rabat la man
Sa Majesté le Roi Mohammed VI et le Souverain du Royaume Hachémite de Jordanie, S.M. le Roi Abdallah II Ibn Al Hussein, ont inauguré, jeudi au Musée Mohamme...
L’Espagne reconnaît la marocanité du Sahara
Le 6 décembre 2016, le ministre espagnol de l’Intérieur s’est félicité, dans un communiqué, du succès d’une opération maroco-espagnole qui s’est ...