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Emploi féminin La parité en entreprise retardée par les stéréotypes

Emploi féminin La parité en entreprise retardée par les stéréotypes

Dossier réalisé par Éco-Emploi,LE MATIN

Plus qu’une célébration, la Journée internationale de la femme est l'occasion de faire le point sur les avancées qu’elle a pu réaliser, notamment en ce qui concerne l’accès à l’emploi décent. «Éco-Emploi» a choisi de se pencher sur le principe de la parité avec les questions qui s’imposent : quelle est la situation dans les entreprises marocaines ? Quelles sont les avancées en matière d’égalité hommes-femmes ? Du chemin a été parcouru, mais il reste beaucoup à faire si l’on se réfère aux avis recueillis ainsi qu’aux différentes statistiques publiées sur le sujet.

Le pari de l’équité dans le monde du travail est loin d’être gagné. Les différents avis recueillis sur le sujet versent tous dans la même direction : les entreprises marocaines ne feraient pas encore de la parité l’une de leurs préoccupations majeures et encore moins une priorité. Bien que ce soit un véritable avantage concurrentiel, les managers ne déploient encore pas assez de pratiques visant à réduire les disparités, que ce soit au niveau du recrutement, de la rémunération, des conditions de travail ou de l’accompagnement des femmes vers des postes de responsabilité. «Les entreprises privées respectent très faiblement les engagements contenus dans le Code de travail.

La fonction publique au niveau du leadership reste très peu féminisée et l’accès des femmes aux postes de décisions très limité», fait remarquer Mounia Benhida, directrice associée au cabinet Optimum Conseil. Quant aux disparités salariales selon le genre, elles restent considérables en dépit des progrès réalisés depuis les années 90. «Même si cet écart semble s’être réduit pendant les dernières années et ne peut s’expliquer que par la discrimination, il reste quand même considérable et injustifié», s’indigne Mme Benhida. Les inégalités ont la peau dure et la parité, bien qu’elle fasse l’objet d’une lutte acharnée menée par les pouvoirs publics et la société civile, peine toujours à se trouver une place de choix dans les stratégies managériales des entreprises. En attestent les chiffres éloquents présentés en 2015 par le Conseil économique, social et environnemental ainsi que ceux du Haut Commissariat au Plan, laissant voir ce large fossé qui sépare les deux moitiés de la société. Ainsi, le taux d'activité des femmes ne dépasse pas les 25,2%, le taux de féminisation de la population active est de 27,1%, 10% d’entreprises marocaines sont dirigées par des femmes, 0,1% occupent un poste de responsabilité dans le privé et uniquement 7% occupent un poste d'administrateur dans les grandes entreprises publiques. En guise de comparaison, le pourcentage des hommes disposant d’autonomie dans l’exercice d’une profession est de 35,3%, contre 10,6% pour les femmes. Les disparités salariales selon le genre ont avoisiné 27% dans les zones urbaines et 37% dans les zones rurales. Côté classement, le Maroc se retrouve au 139e rang sur les 145 pays concernés par le rapport du Forum économique mondial sur la parité publié en 2015. «Ces chiffres qui parlent d’eux-mêmes font de la question du genre un vrai chantier d’amélioration continue ou l’engagement de toutes les parties prenantes, gouvernement, représentations syndicales, employés, société civile est hautement demandé», note Amine Oulahyane, Human Resources and SHEQ Manager-Atlas Copco.

Les professionnels interrogés se sont accordés à dire que cette situation est essentiellement d’origine culturelle et trouve son explication dans la dominance du système patriarcal au sein de notre société. La profonde corrélation qui existe entre l’équité dans la société et l’équité dans le monde de l’emploi fait que «les discriminations puisent dans la construction sociale féminine et masculine et sont par la suite reproduites au sein des entreprises», comme l’explique Doha Sahraoui Bentaleb, professeure à l'Université Cadi Ayyad. «De ce fait, l’environnement de l’entreprise qui est à domination masculine n’encourage pas les talents féminins à accéder aux postes à responsabilité», renchérit Jihane Benslimane, directrice du Pôle conseil et formation du cabinet HERA Consulting. Ainsi, les femmes se voient, en majorité, cantonnées dans des secteurs d’activité dits féminins, avec des emplois peu valorisants, précaires et mal rémunérés et sont sous-représentées au sein des instances de gouvernance et de leadership. Hanane Aït Aïssa, consultante en RH et management de la diversité des genres, va plus loin dans la réflexion et note que «même si les entreprises décident d’adopter la parité et mettent en place des actions dans ce sens, certains stéréotypes demeurent un élément bloquant quant à l’évolution des femmes.

À titre d’exemple celui qui atteste que les femmes auraient de l’empathie, seraient émotives et manqueraient d’autorité». Au-delà de la volonté politique et des lois qui existent, mais qui pêchent par manque d’application, c’est un changement de mentalités qui s’impose pour endiguer le mal à la source, comme le suggèrent nos répondants. Par ailleurs, «La femme devrait s’affirmer, voire s’imposer par ses compétences et non par son simple statut de femme. Elle devrait gagner sa place et non se la faire concéder au nom de la parité ou de la diversité», conclut Abdellah Chenguiti, président de l’Association nationale des gestionnaires et formateurs des ressources humaines.

Les professionnels témoignent...

Hanane Aït Aïssa, coach exécutive, consultante en RH et management de la diversité des genres et DG de NGH Développement

«Le débat sur le respect du principe de la parité en entreprise ne semble pas prendre fin. Malgré les initiatives menées au niveau gouvernemental et associatif, l’inégalité entre les hommes et les femmes continue à prendre plusieurs formes en entreprise, notamment, la limite d’accès à certaines fonctions stratégiques et le faible degré d’intérêt accordé à leur promotion de carrière. D’ailleurs, le constat alarmant des observateurs est désormais connu : les entreprises privées respectent très faiblement le principe de la parité, dans la mesure où les femmes sont surtout présentes dans des activités peu valorisantes, et sont aussi sous-représentées au sein des instances de gouvernance et de leadership. Elles n’accèdent pas facilement aux postes de décision et sont victimes de discrimination salariale et de traitement lors du recrutement, promotion... À cela s’ajoute le fait que les femmes sont faiblement représentées au niveau des activités syndicales et sont quasi absentes dans le haut de la hiérarchie syndicale. En cause, l’absence de mécanismes de mise en application et de suivi des normes d’égalité entre les femmes et les hommes au niveau des entreprises ainsi que le paradigme traditionnel du genre qui met l’accent sur le rôle familial des femmes. En plus, les pratiques de gestion des RH ne permettent pas toujours aux femmes de concilier travail et responsabilités familiales. C’est donc sur les mentalités qu’il faudrait agir, en menant des actions favorisant l’épanouissement professionnel des femmes».

Jihane Benslimane, directrice pôle Conseil et formation, HERA Consulting

«Il est important de rappeler que le marché économique marocain est un marché très hétérogène avec une présence religieuse et traditionnelle, un patriarcat courant ainsi que des disparités sociales importantes. Malgré les réformes permettant une amélioration de la condition féminine, nous avons encore du chemin à parcourir dans les pratiques. De plus, la stabilité de la fonctionnaire ou de la profession libérale est vue comme “une réelle aubaine”. Ceci explique la surreprésentation des étudiantes dans certaines filières (médecine, commerce et gestion) contrairement à d'autres (mathématiques, technologies, ingénierie...), et par conséquent, le faible taux de recrutement des femmes dans de nombreuses entreprises privées et en particulier pour des postes nécessitant une grande mobilité ou une représentation publique importante. Aujourd’hui, certaines entreprises mettent en place des systèmes pour réduire les disparités au niveau des salaires, des conditions de l’emploi et dans l’accompagnement des femmes vers des postes de management. Elles ont compris que le fait de régler cette question d’équité de genre est un avantage concurrentiel. Malheureusement, ces entreprises restent encore peu nombreuses sur le marché marocain. Si on évoque les contraintes, je précise qu’elles sont présentes partout dans le monde. Aujourd’hui, une prise de conscience est faite sur la richesse créée par les femmes que ce soit dans l’entrepreneuriat que dans la représentation dans les hautes instances. Cependant, chaque pays présente un contexte avec des contraintes différentes. Dans les pratiques, nous pouvons rencontrer d’autres contraintes prônant le manque d’intégrité comme : l’informel, la discrimination, l’intérêt personnel, la corruption, la difficulté d’obtenir des financements pour une femme et le harcèlement... Mais, heureusement, les mentalités sont aujourd’hui en plein changement et certaines entreprises œuvrent pour le principe de parité en proposant des conditions optimales à leurs salariées afin de concilier entre leur vie professionnelle et leur vie familiale.»

Badiâ Safi Eddine, chef de projet – Agence de développement social et doctorante en gestion

«Selon un rapport du CESE sur la question de l’égalité, le Maroc subit un manque à gagner de 27,9% de développement du fait des inégalités. L’apport de la participation des femmes dans le développement n’est donc plus à démontrer. Les femmes subissent plusieurs formes de discrimination dans le marché du travail. Le critère de genre lorsqu’il est associé à d’autres comme le handicap, l’âge ou la situation familiale renforce la fragilité de la femme face à l’emploi. Outre leur faible accès à l’emploi, la qualité de ce dernier ainsi que ses conditions appellent à réflexion. Elles sont victimes de ségrégation aussi bien horizontale que verticale et sont généralement cantonnées à des activités précaires et non salariales. De surcroit, et c’est là le paradoxe, malgré l’évolution de la représentativité des filles dans les cycles supérieurs et leur excellence devenue remarquable, elles sont rares à occuper des postes de responsabilité ! La protection des droits de la femme, dont le droit à un travail décent, ne doit pas seulement être un slogan qui marque le 8 mars de chaque année, mais le résultat d’actions volontaristes et responsables de faire bénéficier le pays de l’intégralité de ses potentiels humains. Le rôle de la législation n’est pas épargné, l’instauration dans la Constitution de 2011, et ce pour la première fois, de la non-discrimination, est un levier pour l’alignement de la législation marocaine au résultat attendu qui est la protection des droits de la femme au Maroc.»

Doha Sahraoui Bentaleb, docteure en Sciences de gestion et professeure à l'Université Cadi Ayyad

«Il est très difficile de parler, à proprement dit, d’une évaluation de la parité en entreprise quand le taux de féminisation de l’emploi est de 24% pour l’année 2014, un taux en baisse par rapport aux années précédentes, bien que le niveau d’instruction des femmes est en nette progression. Un paradoxe difficile à expliquer, car nous manquons encore d’études de fond sur la situation de la parité en entreprise : les discriminations salariales, le taux de féminisation des branches d’emploi, et les trajectoires professionnelles féminines. Nonobstant, la parité est un enjeu stratégique pour le pays, car les indicateurs internationaux démontrent que le développement est fortement corrélé à une intégration paritaire des femmes dans la sphère économique.  Afin de faire avancer les choses, il faut une approche systémique qui intègre le social et l’économique. Il faut savoir que les discriminations trouvent leurs sources dans la construction sociale féminine et masculine et sont par la suite reproduites dans l'entreprise. Assurer la parité, en luttant contre les discriminations suppose une connaissance des freins sociaux qui deviendraient des obstacles en entreprise. Sur un plan économique, il faut considérer la parité en entreprise comme un business case et pas seulement comme un impératif social. Le pari de la parité est, outre les outils juridiques, difficile à atteindre. La parité en entreprise ne peut se traduire que par une politique globale, où l’entreprise affiche sa volonté d’aller dans ce sens. Par la suite, les employeurs devront prêter une attention particulière à leurs pratiques RH : Descriptifs de poste supprimant les critères sexués qui conduisent automatiquement vers un homme, un système de veille sur le taux de féminisation des recrutements et la répartition des femmes dans les différents fonctions et niveaux hiérarchiques, un travail sur les discriminations salariales…»

Amine Oulahyane, Human Resources and SHEQ Manager-Atlas Copco Maroc S.A.

«Le Maroc a déployé des efforts considérables en faveur de la promotion de la question du Genre, notamment à travers la ratification des conventions internationales en la matière et l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui défend les principes d’égalité. La Constitution de 2011 renforce également ces principes et le Code de travail interdit toutes les formes de discrimination et proclame le droit des femmes à conclure un contrat de travail et à avoir une activité syndicale. Il interdit aussi toute discrimination de salaire pour un travail égal. Cependant, la situation sur le terrain reste alarmante quand on constate, à travers le rapport du Forum de l’économie mondiale sur l’égalité homme-femme, que le Maroc est classé à la 133e place sur un total de 143 pays. Ce classement est conforté au niveau des entreprises : l’employabilité au féminin ne dépasse pas les 25,5%, le revenu des femmes reste en général inférieur à celui des hommes, Seuls 10% d’entreprises marocaines sont dirigées par des femmes et 10,6% de femmens disposent d'un statut dans la profession autonome, employeur, indépendant ou associé. Ces chiffres font de la question du genre un vrai chantier d’amélioration continue ou l’engagement de toutes les parties prenantes est hautement demandé. La société civile multiplie les initiatives à ce niveau : La CGEM via sa commission RSE, l’AGEF en collaboration avec la GIZ pour la promotion de la diversité genre… contribuent à la promotion de la question au niveau des DRH, porteurs de ce genre de projet avec la direction générale».

Abdellah Chenguiti, président de l’Association nationale des gestionnaires et formateurs des ressources humaines (AGEF)

«Le débat devrait se situer au niveau de la lutte contre la discrimination et la promotion de l’égalité des chances. La parité pourrait en être la conséquence et ne devrait pas être une finalité. Viser la parité ou la diversité présente le risque de tomber dans le travers du “quota”, selon lequel la femme devrait être représentée à hauteur d’un certain pourcentage dans une instance ou une institution. Les principes de non-discrimination et d’égalité des chances sont consacrés par la Constitution et le Code du travail marocains. Mais ils ne sont malheureusement pas toujours respectés. En moyenne, les femmes sont trois fois moins présentes dans la vie active que les hommes. Et même lorsqu’elles ont accès à une activité professionnelle, elles occupent souvent des postes moins qualifiés et moins rémunérés que ceux occupés par les hommes, même à poste égal. Par ailleurs, l’accès au marché du travail est en régression et une part importante de femmes sont employées dans l’informel. Cette triste réalité s’explique par de multiples facteurs. Le premier est d’ordre culturel. Nous avons une culture conservatrice où le rôle socio-économique de la femme reste peu valorisé, ce qui limite son implication professionnelle. Le phénomène du harcèlement sexuel sur les lieux de travail constitue aussi un frein, surtout lorsqu’il devient un “critère de sélection” au recrutement ou pour une promotion professionnelle. Promouvoir la parité en milieu professionnel nécessite tout d’abord une stricte application des dispositions légales. Discrimination, harcèlement, licenciement abusif, absence des conditions de travail adaptées… sont autant d’illustrations du non-respect des dispositions du Code du travail visant la promotion de la parité. Ces dispositions devraient non seulement être appliquées, mais améliorées».

Mounia Benhida, directrice associée Optimum Conseil et Executive Coach Dirigeants

«L’ensemble des études réalisées ces dernières années démontre que le principe de parité n’est pas respecté au Maroc, que ce soit dans le secteur public ou dans le privé. Les chiffres parlent d’eux-mêmes… En effet, aujourd’hui les femmes se heurtent, aussi bien dans le public que dans le privé, au “plafond de verre”. Les femmes fonctionnaires (40% des effectifs) n’occupent que 16% des postes de responsabilité. Dans le secteur privé, moins de 1% des femmes occupent un poste de responsabilité au sein d’entreprises privées opérant dans le domaine du commerce, de l’industrie et des services. De même, les femmes sont sous-représentées au sein des instances de gouvernance des entreprises. Elles ne représentent que 7% des administrateurs des plus grandes entreprises publiques et seulement 11% des administrateurs des sociétés cotées. À la différence de nombreux pays, le secteur public ne joue pas son rôle de locomotive et de modèle. La présence des femmes dans les conseils d’administration des sociétés publiques atteint à peine 5%. (Sources : CESE, HCP, DEPF, Banque mondiale). Aussi, et en dépit des progrès réalisés depuis les années 90, les disparités salariales liées au genre restent considérables. Selon le HCP, ces disparités avoisinent les 27% dans les zones urbaines et 37% dans le rurale. Même si cet écart semble s’être réduit pendant les dernières années et ne peut être justifié que par de la pure discrimination, il reste quand même considérable et injustifié».

Le 09 Mars 2016
SOURCE WEB Par LE MATIN

 

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