Jettou au Parlement Alerte sur les finances publiques
Si le gouvernement brandit à tour de bras l’amélioration de la situation des finances publiques, les conclusions du rapport d’activité de la Cour des comptes, présenté par Driss Jettou devant les deux Chambres du Parlement, pointent une série de dysfonctionnements. Situation alarmante de l’endettement public, faible taux de recouvrement des recettes, difficulté d’exécution des budgets d’investissement en plus des mesures insuffisantes de la réforme des retraites… autant de défaillances dévoilées par le président de la Cour des comptes.
- L’endettement explose
L’endettement se cache dans diverses «poches» que la Cour des comptes est chargée de rassembler. Résultat, un taux d’endettement de 88,5% du PIB, sans compter les arriérés de paiements sur les divers marchés.
Les entreprises publiques à elles seules ont cumulé 234 milliards de DH, garantis ou non. La croissance de ces dettes est très rapide: plus 60%. Ces dettes s’ajoutent aux 60 milliards reconnus par le budget de l’Etat. Il faut y ajouter encore 9 milliards de dettes envers les Académies, les 25 milliards de TVA dus aux entreprises publiques, et les 14 milliards de butoir de TVA, toujours pas payés aux entreprises privées.
La Cour des comptes a enregistré des dysfonctionnements majeurs dont deux peuvent avoir des effets néfastes sur les finances publiques. L’un a trait à l’accumulation des arriérés de paiement de la TVA aux établissements publics, sans prendre en compte le secteur privé. Ces arriérés ont atteint 25,18 milliards de DH à fin 2015. Ce qui représente 48% des recettes de la TVA. Pourtant, ces dettes réduisent énormément les marges de manœuvre des établissements publics qui jouent un rôle prépondérant dans le développement économique et social du pays. Il s’agit notamment de l’OCP, l’ADM (Autoroutes du Maroc), l’ONEE, l’ONCF et la RAM. La Cour des comptes recommande de régler ces dettes qui limitent les capacités de ces entreprises qui ne peuvent honorer leurs engagements financiers. Ce qui représente une menace pour les finances publiques, a noté Driss Jettou.
L’autre dysfonctionnement porte sur l’arrêt des versements de l’Etat aux Académies régionales d’éducation (AREF). Ainsi, les arriérés sont estimés à 8,9 milliards de DH à fin 2015, ce qui impacte négativement ces structures qui n’arrivent pas à payer leurs fournisseurs. Sur ce chapitre, la Cour recommande de régler ces dettes dans des délais raisonnables pour stabiliser leur situation financière. Si cela risque d’aggraver le déficit budgétaire, il peut améliorer la liquidité, en permettant aux PME de dépasser les obstacles de financement.
Driss Jettou a appelé l’exécutif à «adopter une politique vigilante face au maintien de la tendance haussière de la dette publique, en vue de maîtriser son évolution». Le président de la Cour des comptes a estimé que cette situation est compliquée par «des dysfonctionnements en matière des paiements de la trésorerie et des indicateurs des finances publiques. Il a indiqué qu’en 2013, «la dette publique a atteint un niveau record, en comparaison avec les 8 années précédentes». L’ensemble de l’endettement du Trésor et des dettes garanties par l’Etat est passé à 678,85 milliards de DH en 2013 contre 591,85 milliards en 2012. Ce niveau alarmant de la dette s’est creusé davantage les années suivantes. Si son taux par rapport au PIB est resté stable en 2015, soit 63,4%, sa valeur a connu une nette augmentation. Il s’agit surtout de la dette du Trésor, qui s’est élevée à 626,6 milliards de DH l’année dernière contre 584,2 milliards en 2014, 554,3 milliards en 2013 et 493,7 milliards en 2012. Jettou a aussi pointé «l’absence de données relatives à l’endettement intérieur à court terme dans le projet de loi de règlement de la loi de Finances 2013, soumis au Parlement, sachant qu’il a coûté à l’Etat 7,57 milliards de DH en termes d’intérêts et de commissions». D’ailleurs, le service de la dette, de façon générale, s’est alourdi, pour passer de 133 milliards de DH en 2014 à 143 milliards en 2015, «même si sa part dans le PIB est restée stable, soit 14,5%».
- L’Etat peine à recouvrer ses recettes
Le faible taux de recouvrement des recettes publiques figure en tête des difficultés pointées par Driss Jettou, président de la Cour des comptes, lors de son intervention hier devant les deux Chambres du Parlement. Au moment où le gouvernement est appelé à améliorer ce taux de recouvrement, c’est plutôt le contraire qui s’est produit. De 104% en 2012, la récupération des montants dus à l’Etat a connu une baisse, pour se situer à 92% des prévisions de la loi de Finances 2013. Le recouvrement des recettes fiscales a été stable durant cette période, au moment où celui de celles non fiscales a accusé une régression de 6,17%. La baisse de ces recettes non fiscales s’est confirmée en 2015, pour s’établir à 6,10 milliards de DH, soit -30% par rapport à l’année précédente.
- Réforme des retraites: Mesures paramétriques insuffisantes
Au moment où le gouvernement et les syndicats mènent un bras de fer autour de la réforme des retraites, le président de la Cour des comptes a appelé à inscrire ce chantier dans une vision globale. Il a estimé que «ces mesures paramétriques restent insuffisants, même si elles sont nécessaires et urgentes». Celles-ci «se limitent aux pensions civiles de la CMR, omettant ainsi de favoriser un rapprochement entre les régimes de retraite du secteur public». Cela se traduit réellement par une série de différences, notamment en termes d’âge de départ à la retraite, fixé à 63 ans dans le projet de réforme de la CMR, alors qu’il a été maintenu à 60 ans pour les retraités du RCAR. Ces mesures paramétriques ne permettront pas non plus de résorber le déficit des caisses. Au contraire, il devra se creuser davantage durant les prochaines années, pour atteindre 6,8 milliards de DH cette année, avant de fléchir en 2017, à 3,2 milliards, pour connaître une nouvelle tendance à la hausse à partir de 2020, avec 4,1 milliards. Cette situation est due à une faible progression des adhérents actifs (15% entre 2000 et 2015) par rapport à celle des retraités, qui a été de 160% durant la même période. La moyenne des pensions de retraite était de 6.482 DH en 2015. En 2020, cette pension moyenne devra dépasser 11.000 DH pour la promotion des retraités de cette année. Une situation compliquée par le maintien de la possibilité de départ anticipé à la retraite, sans conditions, qui risque de réduire la viabilité du régime de 4 ans, si 25% des fonctionnaires ayant passé 30 ans dans leurs fonctions décident d’opter pour une retraite anticipée.
- Exécution des investissements: Persistance des dysfonctionnements
Le président de la Cour des comptes a pointé des défaillances au niveau de l’exécution des lois de Finances durant ces dernières années, particulièrement en termes de dépenses d’investissement.
Il a rappelé la coupe de 15 milliards de DH du budget de 2013, en vertu d’un décret, parallèlement à la définition de fin octobre de cette année comme date limite pour l’annonce des propositions d’engagements des différents départements. Ce qui s’est traduit par «une limitation de la consommation du budget d’investissement».
Contrairement aux promesses gouvernementales de diminuer les transferts des enveloppes budgétaires d’une année à l’autre, Driss Jettou a fait savoir qu’«ils ont connu une hausse en 2015 par rapport à 2014, traduisant ainsi la persistance de défaillances en matière d’exécution de ces budgets, au niveau des engagements, mais aussi des canaux de paiement des dépenses publiques». Cela, en dépit d’une légère amélioration des paiements relatifs à l’exécution du budget d’investissement, qui se sont situés en 2015 à 58,5 milliards de DH, soit une hausse de 7,8% par rapport à l’année précédente.
Le 04 Mai 2016
SOURCE WEB Par L’économiste
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