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Tsuneo Kurokawa: «Le Maroc et le Japon ont surmonté la distance géographique qui les sépare»

Tsuneo Kurokawa: «Le Maroc et le Japon ont surmonté la distance géographique qui les sépare»

Entretien avec Tsuneo Kurokawa, ambassadeur du Japon au Maroc

Le Maroc, avec sa stabilité politique, son attractivité économique, son positionnement géographique et ses grands chantiers de développement, est le meilleur partenaire du Japon pour concrétiser ses programmes de développement en faveur de l’Afrique. A quelques jours de la sixième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD VI), qui se tiendra pour la première fois dans un pays africain, et à quelques semaines de la Journée internationale de la coopération Sud-Sud, ALM revient sur la coopération bilatérale et tripartite qui lie les deux gouvernements et les relations d’amitié qu’entretiennent les deux peuples, avec l’ambassadeur du Japon au Maroc Tsuneo Kurokawa, rencontré le mercredi 24 août.

ALM : La coopération entre le Maroc et le Japon date de plus de 60 ans. Pourquoi est-elle si importante pour le Japon?

Tsuneo Kurokawa : Parce que les relations bilatérales entre le Maroc et le Japon sont «gagnant-gagnant». Les deux pays entretiennent depuis 1956 des relations exceptionnelles marquées par une amitié profonde entre la famille royale marocaine et la famille impériale japonaise ainsi que la relation entre les deux peuples. Les deux pays partagent les mêmes valeurs et collaborent ensemble dans différents secteurs, notamment celui de la pêche maritime, depuis 30 ans. Le Royaume chérifien occupe une position stratégique sur le plan économique. Depuis le début du siècle dernier où une compagnie a commencé à importer les phosphates du Maroc au Japon, de plus en plus d’entreprises nippones ont commencé à s’installer au Maroc. Le Japon importe d’ailleurs 20% de sa demande intérieure en phosphate du Maroc. Et nous développons toujours notre coopération.

Combien d’entreprises japonaises se sont-elle installées au Maroc jusqu’à présent? Qu’est-ce qui motive leurs investissements ?

Une cinquantaine. Parmi elles, la société Sumitomo Electric company qui possède huit usines au Maroc et emploie environ 20.000 personnes. Elle est la plus grande entreprise dans le secteur privé au Maroc. Je pense qu’il y a trois points majeurs qui motivent ces entreprises à s’installer au Maroc. D’abord, la stratégie nationale du Royaume. Le gouvernement marocain a lancé plusieurs stratégies très intéressantes pour inciter les investisseurs étrangers. Les mesures d’ordre institutionnel, économique, législatif et réglementaire adoptées dans ce cadre répondent aux attentes des investisseurs. Le capital humain joue également un rôle important dans ce cadre. Les sociétés japonaises au Maroc génèrent plus de trente mille emplois au total. Parce que les Marocains et les Japonais partagent des points communs essentiels tels que le respect  de l’autre et l’esprit de travail, cette similitude pousse les entreprises japonaises non seulement à investir au Maroc mais à s’y installer et à former la main-d’oeuvre locale. Le dernier point et pas des moindres est la stabilité du pays qui est une porte vers l’Afrique, l’Europe et le monde arabe.

Il y a toute une politique de coopération japonaise destinée au Maroc. Quels sont les domaines prioritaires de cette politique et quels sont ses principaux objectifs ?

Dans notre politique de coopération, nous envisageons la réalisation d’une croissance économique durable et le renforcement de la compétitivité économique. Nous œuvrons dans ce cadre pour la promotion industrielle, notamment dans le secteur de l’agriculture et de la pêche ainsi que la création d’emplois à travers le développement des infrastructures et la formation des ressources humaines. En plus de ça, le Japon appuie les stratégies de la croissance durable au Maroc, à travers des mesures pour la protection de l’environnement et la gestion des ressources naturelles, entre autres. Le deuxième axe prioritaire de notre politique de coopération est la réduction des disparités régionales et sociales. Le troisième axe est la promotion de la coopération triangulaire. Ainsi, la coopération en faveur du développement reste le pilier essentiel de notre politique de coopération même si les activités des entreprises japonaises occupent une place de plus en plus importante.

Comment participe le Japon au développement social du Maroc ?

Dans les zones rurales les moins développées, le Japon mène plusieurs projets dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la gestion des ressources hydrauliques. Nous avons atteint 351 projets, lancés dans plusieurs villes du pays comme Erfoud, Guelmim, Figuig, Ait Baha, parfois en collaborant avec l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH).

La coopération entre le Maroc et le Japon n’est pas que bilatérale, mais également tripartite. Quel est le rôle du Maroc dans le développement des pays de l’Afrique subsaharienne dans ce cadre ?

Exactement. Il s’agit d’une coopération tripartite Japon-Maroc-Afrique. Le Japon s’associe, en effet, au Maroc pour avoir une influence positive sur le développement d’autres pays africains qui partagent des liens historiques, géographiques et linguistiques avec le Royaume. Avec son développement et son expertise, le Maroc est devenu un vrai modèle pour les pays africains, il développe activement les coopérations Sud-Sud, vu qu’il dispose de l’expérience et du savoir-faire nécessaires en la matière. Le Royaume a aujourd’hui toute la capacité pour transférer ses acquis dans plusieurs domaines. Je cite comme exemple un programme que nous avons financé dans le cadre de la coopération triangulaire «Gestion des eaux non comptabilisées», en collaboration avec l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE). Nous avons accueilli des participants du Bénin, du Burkina Faso, de la Guinée, du Mali et du Niger. Ils étaient formés par des experts marocains et ont acquis leur savoir-faire en matière de gestion d’eau.

Le message central de la réflexion autour de la cinquième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD V) est «Main dans la main avec une Afrique plus dynamique: transformation pour une croissance inclusive et durable». Quel serait celui de la TICAD VI ? Quels sont les principaux objectifs de cette édition?

Bien évidemment, la TICAD VI revêt une signification historique et particulière du fait qu’elle sera organisée pour la première fois dans un pays africain. Je tiens à rappeler que cette conférence a été initiée par le Japon en 1993, après la guerre froide. Elle a pour but d’œuvrer pour le développement de l’Afrique au service de l’appropriation et du partenariat. Elle se tiendra cette année les 27 et 28 août et aura trois axes prioritaires avec un intérêt particulier porté sur les évolutions positives et les défis apparus après la TICAD V. Cette année, nous envisageons à travers la TICAD VI à promouvoir une transformation économique structurelle par le biais de la diversification économique et l’industrialisation. Le deuxième axe important est d’établir un système de santé résilient pour une meilleure qualité de vie afin d’améliorer les réponses aux crises de santé publique et aux épidémies telles qu’Ebola ou Zika. Le troisième axe concerne la stabilité sociale pour une prospérité partagée, à travers le traitement de l’expansion de sujets tels que l’extrémisme violent ainsi que les risques croissants de catastrophes naturelles dus aux changements climatiques.

Pourquoi estimez-vous qu’une transformation économique structurelle est nécessaire pour la diversification économique et l’industrialisation dans les pays africains ?

C’est pour répondre au ralentissement de l’économie africaine dû au déclin du prix mondial des ressources naturelles. Lors de la TICAD VI, les participants pourront notamment évoquer les moyens nécessaires afin de favoriser la diversification économique et l’industrialisation afin de réduire leur dépendance aux matières premières. Il faut ainsi investir pour le développement des infrastructures de qualité, la construction de routes et de ports et le développement des énergies renouvelables. Le Maroc attache de l’importance à cette transformation économique. J’espère que la délégation marocaine contribuera à débattre de  ce thème activement.

Lors de la TICAD V, des fonds d’aide de 24 milliards d’euros, incluant 10,8 milliards d’euros d’aide publique au développement, ont été octroyés au continent africain par le Japon. Quelle était la part du Maroc de ces fonds ?

Le plan d’action de Yokohama est en cours d’application et le sera jusqu’en 2018. Le montant global inclut également les chiffres de coopération réalisés à travers les organisations internationales. Il n’est donc pas possible de parler de la part du Maroc d’une manière précise. Mais à titre d’exemple, le montant octroyé, entre 2013 et 2015, sous forme de dons de coopération technique pour la réalisation de projets au Maroc s’élève à 3,6 milliards de yens, soit environ 360 millions de dirhams. Et celui des prêts pendant la même période est de 9 milliards de yens, soit environ 900 millions de dirhams. Maintenant le montant total pour l’aide publique au développement (ADP) au Maroc a atteint 33 milliards de dirhams. J’aimerais, de même, citer l’accord sur l’octroi d’un crédit d’environ 1,6 milliard de dirhams que j’ai signé en mars 2016 au profit du Plan Maroc Vert. Je souhaite que cela va améliorer les conditions du secteur agricole, qui est en développement continu, tout en contribuant à la mitigation du changement climatique.

La coopération entre le gouvernement nippon et le gouvernement marocain s’étend aussi au domaine de l’éducation et la formation des jeunes. Parlez-nous de cela…

Nous accordons de l’importance aux échanges humains, surtout aux jeunes générations pour lesquelles nous avons développé plusieurs programmes de bourses et d’échanges universitaires. Je crois que plus les Marocains iront à la découverte du Japon, plus le Japon se rapprochera du Maroc. Les étudiants marocains bénéficiaires de bourses japonaises sont des trésors pour les deux pays, car ils coopèrent pour le développement socio-économique et culturel des deux pays et jouent un rôle essentiel dans plusieurs domaines, allant de l’ingénierie, à la finance ou encore la médecine, la politique et les nouvelles technologies. Le premier étudiant boursier marocain est parti au Japon en 1980. Jusqu’à présent, ils sont plus de 156 jeunes bénéficiaires de nos programmes de bourses.

African Business Education Initiative est le plus récent, il a été lancé  lors de la TICAD V en 2013. Ce programme a été initié au Maroc l’an dernier. Donc les étudiants du premier groupe poursuivent toujours leurs études au Japon et le deuxième groupe a déjà été sélectionné en attendant la sélection du troisième groupe. Dans le domaine de la coopération académique, les universités japonaises comme Tsukuba, Osaka et Hiroshima City renforcent leurs relations avec les universités marocaines en signant des accords d’échanges académiques tels que ceux conclus avec l’Université Mohammed V, l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II et l’Université Al Akhawayn. Nous avons également introduit l’enseignement de la langue japonaise à l’Université Mohammed V de Rabat en 1982, et depuis, d’autres cours ont été créés dans les universités de Casablanca, Fès, Marrakech et Mohammedia, ainsi que dans des établissements privés.

Quelle est la partie de la culture et du sport dans cette coopération maroco-japonaise ?

La culture doit être la base des échanges humains ou d’intérêt entre les pays. Je suis fier de constater que beaucoup de Marocains s’intéressent à la culture et à la langue japonaises, mais aussi à la cuisine, aux dessins animés et mangas et à d’autres formes artistiques. Pour répondre aux intérêts du peuple marocain, l’ambassade du Japon au Maroc organise des événements culturels tout au long de l’année. D’ailleurs nous allons organiser un festival japonais le samedi 24 septembre à Rabat, en invitant des artistes de musique traditionnelle japonaise ainsi que des clubs et associations marocains intéressés par la culture de notre pays. Les Marocains portent un intérêt particulier aux sports japonais aussi, comme le karaté, le judo, l’aïkido. Ils auront la possibilité de montrer cela lors de cet événement. Je vous rappelle que le Japon organisera les Jeux olympiques en 2020 à Tokyo pour la deuxième fois. Je souhaite tout le succès à l’équipe nationale du Maroc à Tokyo.

Quels sont les horizons qui s’ouvrent en matière de rapprochement entre les deux peuples ?

Des horizons illimités ! Le Japon et le Maroc ont développé de très bonnes relations dans les domaines politique, économique et culturel. Non seulement le lien entre les deux gouvernements est solide, mais aussi le rapprochement direct entre les deux peuples est plus grand que jamais. Le nombre de Marocains qui visitent le Japon ne cesse d’augmenter chaque année. Ils s’y rendent pour assister à des conférences internationales, négocier des affaires avec des sociétés japonaises, visiter des sites classés au patrimoine mondial, déguster la cuisine japonaise et découvrir le pays, sa culture et son peuple. Grâce aux liens forts entre le Maroc et le Japon, nous avons surmonté la distance géographique qui sépare nos deux peuples.

Le 27 Août 2016
SOURCE WEB Par Aujourd'hui le Maroc

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