Malaise marocain
Avec l’affaire Mohcine Fikri, le Maroc a eu chaud. Le pays vient d’échapper à des turbulences qui auraient pu se transformer en engrenage d’une grande et dangereuse confusion.
Quels enseignements tirer de la tragique affaire de Mohcine Fikri? Quels que soient les résultats de l’enquête, cette mort a suscité des réactions en chaîne qui ont révélé une vulnérabilité inquiétante dans la société marocaine. Quelqu’un a parlé d’étincelle. Du coup certains journalistes français ont évoqué le Tunisien Mohamed Bouazizi qui s’était immolé par le feu pour protester contre l’humiliation dont il avait été victime. Un journal a même illustré un article sur Fikri avec le drapeau tunisien.
On dirait que des gens avaient tout intérêt à ce que le Maroc s’enflamme et provoque des bouleversements dont on devine les conséquences. Certes, des citoyens choqués par les circonstances de la mort de Mouhcine Fikri ont manifesté leur horreur et leur colère.
Cette solidarité à travers le pays pour une mort qui n’aurait jamais dû avoir lieu a quelque chose de sain et de positif. Dans ces manifestations qui, grâce au sentiment de responsabilité des gens, n’ont pas dégénéré, se mêlaient aussi bien la protestation contre le comportement des autorités du port d’Al Hoceima que le ras-le-bol des gens contre des injustices à tous les niveaux ainsi que l’aggravation des inégalités sociales.
On peut dire que le pays a eu chaud. C’est une raison suffisante pour analyser les causes profondes de ce malaise général qui se traduit de temps en temps par de la violence entre administrés et fonctionnaires de l’Etat. Les gens sont à cran. Pas apaisés. J’ai vu certains se battre pour une place de parking ou pour une fraude dans la queue.
On tourne autour du problème, on le prend par tous les côtés, on retrouve toujours le système dominant de la corruption ainsi que le manque de considération du citoyen pauvre et sans relations. Ce fléau s’insinue partout. Aucun domaine de la vie publique n’y échappe. On a beau le dénoncer, on est fatigué de lire dans la presse des cas de corruption et ses ravages. Tout découle de là et cela empêche l’assise de l’Etat de droit.
La corruption fonctionne comme la Mafia: l’argent ne laisse pas de trace. Pas moyen d’attraper le corrupteur et le corrompu sur le fait, à moins de monter un stratagème où les fraudeurs sont piégés. Reste l’attitude hautaine voire malveillante à l’égard des gens pauvres.
J’ai tellement constaté dans les couloirs de l’administration ce genre de comportement qu’il m’est arrivé de protester et de réclamer du respect de la dignité des citoyens qui ne peuvent pas se défendre ou n’ont pas les moyens de se faire respecter. Nous savons tous que Sa Majesté est très sensible à cet aspect. D’où sa colère, l’an dernier, contre des dysfonctionnements dans certains consulats.
Il y a un grand décalage entre ce qu’entreprend le roi et les prétentions du gouvernement de Benkirane. Pourtant les ministres ont été généreux en promesses et discours, mais ils n’ont pas réussi à améliorer le quotidien du citoyen que ce soit dans le domaine du civisme, de la justice, celui de la santé ou de l’éducation.
Le malaise marocain dépasse les partis politiques et les manigances politiciennes. Le citoyen marocain ne supporte plus que sa dignité soit ignorée ou méprisée. C’est le sens de cette solidarité à travers le pays avec une victime devenue un symbole. Il va falloir engager la même dynamique, la même détermination dans la prévention et la lutte contre le terrorisme que dans le respect de la dignité de tous les citoyens.
Je connais le cas d’un simple accident de la route, où un jeune chauffard a tué une personne et blessé grièvement deux autres. Ce criminel (il roulait à 180 km/h en pleine ville, la nuit) est libre et nargue les familles en colère. Pourquoi il se permet cela ? Parce que son père est un milliardaire qui a certainement rempli les poches des uns et des autres. Pire que tout, ses avocats se sont arrangés pour que la faute soit imputée aux victimes. C’est le monde à l’envers. Seule la corruption est capable de faire des miracles.
Tant que des individus se sentent au-dessus des lois parce qu’ils sont bourrés de fric facile, tant qu’ils arrosent des gens sans conscience, il n’y aura pas de justice réelle et concrète dans notre pays. Certes, tout le monde n’est pas pourri. Mais il suffit d’une ou deux personnes bien placées qui acceptent de fermer les yeux et de déformer la vérité pour que le sentiment d’une grande insécurité doublé d’injustice soit présent partout.
Je rejoins ce que l’un des frères de la victime a déclaré au journal Le Monde (6-7 novembre 2016): «Beaucoup de responsables ne respectent pas la loi, ils ont un pouvoir et se croient tout permis. Ce que l’on veut c’est que les coupables rendent des comptes pour que ce qui est arrivé à Mohcine ne se répète plus jamais».
Avec l’affaire Mohcine Fikri, le Maroc vient d’échapper à des turbulences qui auraient pu se transformer en engrenage d’une grande et dangereuse confusion. N’oublions pas que le Maroc est le seul pays sorti indemne de ce qu’on a appelé trop vite «le printemps arabe». Regardez l’état actuel de l’Egypte, de la Tunisie, sans parler de la tragédie syrienne et l’horreur daéchienne en Irak et en Lybie.
Plus que jamais, le citoyen marocain a besoin de justice, de respect de ses droits et de sa dignité.
Le 09 Novembre 2016
SOURCE WEB Par le360
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