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Diplomatie: 5 jours qui bouleverseront les équilibres

Diplomatie: 5 jours qui bouleverseront les équilibres

D’aucuns n’ont pas hésité à qualifier de véritables "séismes" les deux annonces diplomatiques qui ont marqué ces cinq derniers jours. Si le retrait américain de l’Accord de Paris était attendu, étant donné que Donald Trump, en climato-septique décomplexé, en avait fait l’une de ses principales promesses, la crise, inédite dans sa forme, entre le Qatar et ses alliés arabes, peut, en revanche, paraitre surprenante, même si des prémices de tensions ont pu apparaitre au grand jour ces dernières années.

Il s’agit ainsi d’une double rupture, sans aucune forme de préavis, qui risque de bouleverser profondément les équilibres et les paradigmes en matière de relations internationales.

La première, américaine, consiste en la rupture d’un accord international de référence sur le climat, à caractère universel et global, qui suscite l’espoir de toute une planète.

La seconde est une rupture de l’Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Unis, du Bahrein, du Yémen, de la Libye, de l’Egypte, de la Mauritanie, des Maldives et de l’Ile Maurice envers le Qatar, dans un contexte de rapprochement entre les premiers pays cités et les Etats-Unis.

Retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris: pied-de-nez au multilatéralisme

En se retirant de l’Accord de Paris, alors qu’ils avaient joué un rôle majeur dans les négociations, les Etats-Unis, deuxième émetteur de gaz à effet de serre, avec environ 14% des émissions de carbone, rompent volontairement avec le seul accord international ayant réussi à mettre d’accord 195 Etats autour de l’urgence climatique.

En rejoignant la Syrie et le Nicaragua, seuls pays à ne pas avoir signé l’Accord de Paris, les Etats-Unis mettent en péril l’objectif de plafonnement de la hausse des températures à 2 degrés d’ici la fin du siècle. Alors qu’ils ont été, sous les Administrations Clinton et Obama, considérés comme les pionniers de la lutte mondiale contre le réchauffement climatique, les Etats-Unis laissent délibérément la main à la Chine et à l’Union Européenne en matière de leadership climatique.

En effet, la Chine qui a, jusqu’à la COP21, longtemps bloqué toute forme d’accord climatique efficace, s’est récemment reconvertie en adepte des énergies renouvelables.

Elle a, en effet annoncé, pour ce secteur, la création de près de 15 millions d’emplois et l’investissement  de plus de 320 milliards d’euros pour les prochaines années.

L’Union Européenne, de son côté, a été plutôt en retrait lors des négociations qui ont conduit à l’Accord de Paris. Elle se voit de facto repositionnée en tant qu’acteur clef dans la réalisation des objectifs fixés lors de la COP21 et réaffirmés dans la Proclamation de Marrakech lors de la COP22, tels que le "paquet financier et technologiqu"» pour soutenir l’adaptation des pays en développement aux changements climatiques et "l'Agenda des solutions".

La décision du Président américain est d’autant plus démagogique que son intention déclarée de renégocier dans un futur proche le contenu de l’Accord n’est pas possible.

Le texte de Paris, a, en effet, été figé pour éviter toute forme de renégociation possible. C’est pour cette raison qu’il n’est pas contraignant. L’Accord de Paris ne prévoit pas de sanctions à l’endroit des éventuels contrevenants à leurs propres engagements nationaux. Les 29 articles de l’Accord n’arrêtent pas de mécanisme précis de contrôle, et encore moins de sanctions, à l’image du Protocole de Kyoto qui, en raison de ce volet coercitif, n’a pas été ratifié par les Etats-Unis.

Donald Trump aurait donc pu se contenter de démanteler le "Clean Power Plan", lancé par le Président Obama dans la foulée de la COP21, sans se retirer de l’Accord de Paris.

Un levier de sortie momentanée aurait donc été possible pour le Président Trump qui, en se retirant de l’Accord, a choisi non seulement d’interrompre la dynamique américaine en matière de lutte globale contre le réchauffement climatique, mais également de sanctionner les pays en développement à travers la suppression de l’importante contribution financière américaine au Fonds Vert et à l’enveloppe annuelle des 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, censée financer leur adaptation aux effets des changements climatiques.

A travers sa sortie de l’Accord de Paris, Donald Trump exprime de manière concrète et suivie d’effets, sous couvert de son slogan de campagne "America First", sa profonde aversion pour le multilatéralisme.

S’il faut noter avec satisfaction que plusieurs villes et Etats américains, dont les prérogatives et les compétences en matière de politiques énergétiques et de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre sont importantes, se sont engagés à respecter les termes de l’Accord de Paris, il est utile de souligner, qu’ils ne pourront, en aucun cas, se substituer à l’Etat fédéral sur le plan des négociations ou de la représentativité au sein de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC).

Le retrait américain de l’Accord de Paris ne sera effectif que le 4 Novembre 2020, soit au lendemain de la prochaine élection présidentielle. Mais entre-temps, le Président Trump a d’ores et déjà annoncé que les Etats-Unis ne respecteront pas leurs engagements en matière de réduction des gaz à effet de serre et interrompront leur participation au financement du Fonds Vert. L’Accord de Paris se voit donc déjà fragilisé compte tenu de l’importance des Etats-Unis.

Le retrait américain doit pouvoir servir de levier pour l’ensemble des signataires de cet Accord historique, afin d’en accélérer la mise en œuvre.

Le prochain Sommet du G20 à Hambourg, début juillet, sera une étape importante et déterminante dans la redéfinition des nouveaux rapports de force diplomatiques. Le retrait américain de l’Accord de Paris contribuera davantage à isoler Donald Trump, qui devra probablement faire face à une nouvelle coalition climatique internationale, mobilisée autour du respect des engagements pris à Paris. 

Rupture avec le Qatar pour préserver l’axe sunnite

La crise entre le Qatar et les autres pays du Golfe, en plus de l’Egypte, a également vocation à bouleverser les équilibres diplomatiques.

Considérée comme la plus grave depuis la création du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), la rupture des relations diplomatiques des Emirats Arabes Unis, de l’Arabie Saoudite, du Bahreïn, du Yémen et de l’Egypte avec le Qatar dépasse très largement le cadre d’une simple crise politique ou de tensions diplomatiques classiques. Il s’agit d’un ressenti plus profond, datant de plusieurs années, qui s’apparente à des représailles à l’égard du Qatar, considéré par ses pairs du Golfe comme étant le commanditaire principal des opérations menées par les Frères musulmans et par le Hamas qu’il finance, accueille et encadre.

En 2014, un différend comparable avait également conduit l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et le Bahreïn à rappeler leurs ambassadeurs au Qatar pendant près de huit mois. Une normalisation des relations s’en est suivie sans que jamais la méfiance vis-à-vis du Qatar ne s’estompe.

Mais aujourd’hui le contexte régional et géostratégique est totalement différent. A l’époque, le groupe "Etat islamique" ne représentait pas la menace qui est la sienne aujourd’hui. La lutte mondiale contre le terrorisme et l’extrémisme n’était pas encore redevenue la priorité de la communauté internationale. Enfin, sous l’impulsion de l’Administration Obama, la politique américaine au Moyen-Orient était dictée par le rapprochement entre Washington et Téhéran.

Aujourd’hui, avec l’avènement de Donald Trump, la donne a radicalement changé et évolué. En effet, lors de son discours de Riyad du 21 mai dernier, le Président américain avait appelé les pays arabes et musulmans à "chasser" les extrémistes et avait mis sur un pied d’égalité l’Iran et le groupe "Etat islamique", qualifiés de composants d’un "nouvel axe du mal".

Le rapprochement récent constaté entre le Qatar et l’Iran, les propos tendancieux imputés à l’Emir vis-à-vis de la République Islamique chiite, le soutien plus ou moins affiché de Doha à des mouvements islamistes dans plusieurs pays arabes, malgré la crise de 2014, et le blanc-seing américain offert à l’Arabie Saoudite semblent avoir fini de convaincre Riyad et Abu Dhabi de passer à la vitesse supérieure et de mettre au ban le Qatar.

Il faut avoir à l’esprit que la volonté d’isoler le Qatar et de l’étouffer économiquement n’est pas seulement, comme certains médias occidentaux ont pu l’annoncer, motivée par l’objectif de mettre à mal l’émancipation du Qatar - qui a toujours poursuivi sa propre politique régionale - vis-à-vis des autres membres du CCG, mais plutôt de sanctionner un pays voulant se démarquer d’un axe sunnite solidaire, à travers, à la fois, son appui à des groupes radicaux, farouchement combattus par Riyad et ses alliés, et son rapprochement avec l’Iran.

Le soutien aux groupes terroristes évoqué comme grief par l’Arabie Saoudite n’est pas un argument prétexte. Il ne faut aucunement sous-estimer l’aversion de Riyad et d’Abu Dhabi pour les Frères musulmans et le Hamas. Plus que le rapprochement avec l’Iran, c’est surtout le soutien ininterrompu du Qatar à ces groupes et à leurs affiliés, qui est essentiellement reproché à Doha et ce, malgré l’avertissement de 2014.

Appuyée par Washington, l’Arabie Saoudite souhaite avant toute chose éviter une cassure au sein de l’axe sunnite, quitte à briser momentanément la cohésion au sein du CCG, en stigmatisant le Qatar, responsable d’avoir redistribué un sombre jeu de cartes, en contradiction avec les intérêts stratégiques de nombreux pays de la région.  

Aujourd’hui, malgré plusieurs appels au dialogue et des tentatives de médiation en cours de la part du Koweït, de Oman (qui n’ont pas rompu avec le Qatar) et de la Turquie, il est peu probable que les tensions s’apaisent.

Elles devraient au contraire s’accentuer. Forts de l’appui sans équivoque du Président Trump, qui s’est réjoui sur Twitter, suite à la rupture avec Doha, que sa visite était "déjà payante", l’Arabie Saoudite et ses alliés voudront encore aller plus loin en obtenant le droit d’intervenir, plus directement, au Qatar en l’obligeant à interrompre son soutien aux groupes radicaux et à assécher ainsi les "sources du terrorisme".

Il s’agira, in fine, de renforcer le texte du document de Riyad signé au mois d’Avril 2014, au lendemain de la première crise. Cet objectif est d’autant plus atteignable que la Communauté Internationale est plus que jamais sensible aux efforts de lutte antiterroriste (lois antiterroristes plus strictes notamment sur le financement du terrorisme international et la poursuite des criminels de guerre").

Elle est également moins regardante sur la méthode d’obtention des résultats. Le Qatar avance l’argument de sa souveraineté pour justifier ses choix d’abriter des groupes radicaux au pedigree peu reluisant. Nul doute que le Tweet de Donald Trump, qui juge que la crise actuelle conduira "au début de la fin de l’horreur du terrorisme" aura raison de cet argument…

Brahim Fassi Fihri

Président fondateur de l’Institut Amadeus.

Le 06 Juin 2017                        

SOURCE WEB Par Médias 24

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