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«Quel modèle de croissance, d\'éducation et de gouvernance pour optimiser l\'emploi des jeunes ?»

«Quel modèle de croissance, d\'éducation et de gouvernance pour optimiser l\'emploi des jeunes ?»

 

 

 

 

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Entretien avec Mouncef Kettani Par Farida Moha             

 Publié le : 25.07.2011 | 17h27

 

Qui dira le désespoir, la désespérance des jeunes qui partout de Rabat, à Madrid, à Londres se révoltent contre la société qui rejettent ses enfants ? Partout la question de l'emploi des jeunes revient comme une antienne et les instruments de lutte censés favoriser l'emploi se révèlent inefficaces.

On le sait désormais depuis près d'une décennie, la question du chômage des jeunes n'est pas une question conjoncturelle, mais structurelle et la dette publique faisant, ce sont encore les prochaines générations qui paieront, faute de volonté politique. Les manifestations ici et là expriment un mal être généralisé mais aussi la volonté des jeunes de trouver une place dans la société et de considérer le capital humain, non comme une variable d'ajustement des marchés mais comme une véritable richesse. Au moment où il est question de refonder le contrat social, le CES vient de présenter le rapport d'étape sur l'emploi des jeunes, ouvert à la concertation et aux débats de ses membres. Des débats qui ont montré qu'au-delà de la crise financière mondiale dont on commence à peine à ressentir les premières conséquences, c'est que le «modèle économique actuel ne répond pas à la problématique de l'emploi au Maroc et que c'est le développement économique, la croissance qui créent l'emploi ». Or, actuellement, la législation trop contraignante, la faible capacité d'exportation de nos entreprises, le manque de signaux vers le privé, font que nous sommes dans l'impasse. Autre thème de débat, l'inadéquation entre les profils formés et la demande du marché. Le diagnostic est sans appel : les difficultés d'insertion professionnelle résultent d'inadaptations dans la formation initiale et l'orientation scolaire qui commence, selon certains, dès le pré- scolaire.

Autre point évoqué, les discriminations et le pilotage des politiques d'emploi et de formation qui souffrent d'une gouvernance complexe et d'un manque de coordination malgré la multiplicité des structures en charge de cette question. Simplifier, clarifier, répartir les compétences selon différents niveaux d'échelle permettraient de rendre plus efficace les différentes politiques d'insertion des jeunes. Et surtout de rétablir la confiance et imposer la primauté du social.

C'est ce que nous confie Mouncef Kettani, rapporteur de la Commission de l'emploi et de la formation au Conseil économique et social qui, après avoir dressé le diagnostic et les différentes pistes de réflexion, rappelle que la commission préconise « la création d'un Observatoire de l'emploi et de la formation, conçu avant tout comme une « fonction » et non comme une institution ou une structure, chargée uniquement de produire des informations ».

La deuxième mesure vise à créer un cadre institutionnel de coordination et de pilotage pour la politique territoriale de l'emploi. « Il s'agit, dit-il, par la mise en place de ce cadre institutionnel d'assurer la cohérence et l'harmonie nécessaires entre tous les intervenants chargés de la mise en œuvre à l'échelle régionale et locale du programme national de promotion de l'emploi des jeunes. Cette mission peut être confiée à des structures régionales qui exerceraient leur mission sous la coordination des walis de régions et gouverneurs de provinces. Ces comités engloberaient les services extérieurs de l'Etat concernés, les élus, les associations et organisations professionnelles, le secteur bancaire et les organismes de formation et d'intermédiation.» Vaste programme !

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Entretien avec Mouncef Kettani, rapporteur de la Commission de l'emploi et de la formation au Conseil économique et social, après avoir dressé le diagnostic et les différentes pistes de réflexion, rappelle que la commission préconise «la création d'un Observatoire de l'emploi et de la formation, conçu avant tout comme une «fonction» et non comme une institution ou une structure, chargée uniquement de produire des informations»

LE MATIN : Le CES vient de publier un rapport d'étape sur la question de l'emploi des jeunes. Quelles méthodes de travail ont été adoptées pour élaborer ce travail ?

MOUNCEF KETTANI : La question de l'emploi des jeunes est aujourd'hui une préoccupation de nombreux gouvernements de par le monde. Au-delà des effets immédiats de la crise économique actuelle, elle renvoie à une problématique complexe du fait des changements du rapport au travail induit par la nouvelle révolution technologique

 Selon les données du Haut Commissariat au Plan, le taux de chômage des jeunes de 15-29 ans est élevé. Il se situe en 2010 à 16,7 % contre 9,1 % au niveau national. C'est un chômage de longue durée (66% sont au chômage depuis plus d'un an), il touche particulièrement les jeunes du milieu urbain (taux de chômage de 27%) et les plus diplômés parmi eux (le taux de chômage des diplômés du supérieur est de 41%). De plus, l'emploi des jeunes se caractérise par la précarité et la fragilité puisque les emplois qu'ils occupent sont souvent sous-rémunérés, sans cadre contractuel et rarement couverts par un régime de protection sociale. Le CES a opté pour une méthode de travail qui concilie entre séances d'auditions (44 au total) des différents intervenants institutionnels (ONG, associations des jeunes) et des débats pendant ces séances et ensuite en interne avec le groupe de travail chargé de ce dossier

A quel diagnostic avez-vous abouti ?

L'audition des associations de jeunes a révélé que ces derniers ont une perception de leur situation encore plus grave que ne le laisse entrevoir les statistiques disponibles parce que d'un côté, de nombreux jeunes ne sont même plus à la recherche d'un emploi (le taux d'activité est seulement de 44%) et ceux qui sont au travail le sont dans des conditions de sous-emploi et de forte précarité. De l'autre côté, les programmes actifs d'emploi déployés au cours des dernières années sont largement inadaptés et insuffisants par rapport à l'ampleur du phénomène du chômage des jeunes.

Quelles recommandations faites-vous sur le long terme ?

A travers les premiers débats internes et les auditions, le constat du Conseil économique et social est qu'il n'y a pas de solutions au chômage des jeunes sans création de richesses et valorisation du potentiel humain dont dispose notre pays. Dès lors, des réformes structurelles sont nécessaires. Elles devraient s'articuler autour de trois piliers

 Une inflexion significative de notre modèle de croissance qui doit reposer sur quatre axes : Il faut tout d'abord orienter l'épargne et l'investissement vers les secteurs à forte valeur ajoutée et à fort effet d'entraînement en termes de création d'emploi (notamment l'industrie), dissuader les situations de rente et favoriser un meilleur partage des fruits de la croissance

 Le deuxième axe a trait à l'innovation et à la recherche technologique, levier essentiel de l'amélioration de la productivité et de la génération de nouveaux investissements créateurs d'emploi et de valeur

 Il faut d'autre part mettre l'accent sur l'économie sociale et solidaire, ainsi que sur la promotion de la PME-TPE qui renferme des gisements importants de création d'emploi et enfin tirer un meilleur parti des atouts intrinsèques du Maroc et des accords de libre-échange qui consacre l'ouverture de notre économie sur le monde

  Qu'en est-il du deuxième pilier ?

Celui-ci appelle à une refonte profonde du système d'éducation et de formation. Cette refonte impérative suppose de faire de la qualité de l'enseignement et de la lutte contre les déperditions scolaires les critères majeurs d'évaluation des performances de notre système d'éducation de base. Elle nécessite de renforcer l'adéquation entre la formation et l'emploi par la promotion et la valorisation des filières professionnalisantes de courtes durées et la formation tout au long de la vie et enfin d'encourager la recherche et l'innovation ainsi que le développement des passerelles naturelles entre l'Université et l'Entreprise

Comme dans l'avant-projet de la Charte sociale, le mot gouvernance a traversé les débats. Pour votre part, vous évoquez une gouvernance territorialisée et comptable des résultats. Que faut-il pour ce faire ?

Libérer les énergies en favorisant un environnement attractif (procédures simplifiées, règlementations allégées, lutte contre la corruption et l'économie de rentes, ….), mais cela ne suffit pas.

Il faut rendre opérationnelle la régionalisation avancée telle qu'elle est consacrée par la Constitution de 2011 comme cadre de gestion de proximité et de convergence de tous les acteurs et comme gisement de richesses économiques souvent insuffisamment exploitées. Et enfin créer les conditions pour faire des régions non seulement des espaces d'investissement mais des lieux attractifs pouvant retenir et attirer les meilleurs profils

La question du chômage des jeunes est aujourd'hui une préoccupation majeure des gouvernements du monde entier : c'est aussi, vu les révoltes déclenchées, une question urgente.

Quel programme préconise le CES sur le court terme ?

En effet, les réformes de nature structurelle ne produiront leurs effets sur l'emploi que sur le moyen et le long terme. En attendant, l'urgence de la situation impose effectivement de mettre en place un programme national de grande envergure en faveur de l'emploi des jeunes autour duquel une mobilisation générale de l'ensemble des acteurs et forces vives du pays devrait s'organiser.
Ce programme devrait concerner en premier lieu les catégories de jeunes les plus durement touchés par le chômage. Il s'agit en particulier des jeunes chômeurs non scolarisés ou en rupture de scolarisation, les jeunes diplômés chômeurs à la recherche d'un premier emploi, les jeunes diplômés chômeurs de longue durée et les jeunes chômeurs en situation d'exclusion ou de handicap.
Par cette typologie, le Conseil entend cibler les catégories de jeunes chômeurs ayant un problème d'insertion spécifique et pour lesquelles il convient de mettre en place des dispositifs appropriés dans le court terme

Partant du constat que la solution à cette situation ne pourrait résider dans le recrutement massif dans la fonction publique, ni dans les dispositifs visant à contraindre les entreprises à embaucher, en dehors de leurs besoins réels, les composantes de ce programme pourraient s'articuler autour de six volets suivants :

-Dynamiser l'offre d'emploi ;

-Promouvoir l'auto-emploi et la création d'entreprises ;

-Améliorer l'employabilité des jeunes ;

-Mettre en place des dispositifs intégrés adaptés aux catégories de jeunes chômeurs prioritaires ;

-Développer et étendre les services d'intermédiation ;

-Renforcer la gouvernance du marché du travail

Y a-t-il une réelle adéquation entre la demande des entreprises et les profils formés par l'université ou les centres professionnels ?

La problématique de l'emploi des jeunes est intimement liée à celle de l'apprentissage initial et de l'acquisition des compétences scientifiques et professionnelles dispensées par le système de formation et d'enseignement à tous les niveaux (primaire, secondaire général, secondaire technique, formation professionnelle, supérieur)

Force est de constater que le système d'éducation et de formation souffre de carences et ne répond que partiellement aux mutations que connaît le Maroc. Notre pays demeure confronté au problème d'une population faiblement formée et dont une partie est encore analphabète.

Malgré des avancées significatives, les études récentes montrent que le taux d'analphabétisme national est de 38,5 % (population de 10 ans et plus).

N'y a-t-il pas un problème de rythme, de réactivité dans les réponses du gouvernement par rapport aux solutions apportées :

-le projet de loi de l'auto-entrepreneur qui peut constituer une réponse aux urgences est toujours dans le tiroir ?

Le ministère chargé de l'Économie et des Affaires générales du gouvernement va annoncer certainement dans les jours à venir une stratégie globale concernant la TPE (Très petite entreprise) et la création d'entreprises.

Cette stratégie englobe un certain nombre de mesures relatives notamment à ce statut d'auto-entrepreneur. Je pense qu'effectivement l'accélération de ces textes de loi ne peut qu'apporter une partie de la solution, ce qui est non négligeable

Quelle est votre réflexion sur la question des tutorats et parrainage entre générations ?

Ces deux approches ont constitué une expérience probante dans plusieurs pays. Le Maroc a tout à gagner dans leur diffusion et leur développement. Un premier texte sur le parrainage a été initié par l'ex-ministère de la PME mais abandonné faute de suivi et une faible mobilisation des partenaires potentiels. Je pense qu'il est important de reprendre ces concepts avec un ministère de tutelle. De même, qu'en partenariat avec les entreprises et grands groupes nationaux, l'essaimage et l'externalisation de services au profit des PME-TPE pourront être développés et structurés

Avons-nous une planification des emplois et des compétences sur le moyen terme et par région, qui permettrait une meilleure orientation des jeunes ?

La régionalisation prévue avec la nouvelle constitution nous impose une nouvelle approche, ceci d'autant plus qu'il est prévu un fonds de mise à niveau régional.

Il faudra donc profiter de cette situation favorable pour proposer des mesures afin de renforcer la gouvernance du marché du travail avec essentiellement deux mesures : la première consiste à implanter un Observatoire de l'emploi et de la formation, conçu avant tout comme une «fonction» et non comme une institution ou une structure, chargée uniquement de produire des informations. Pratiquement, il s'agit d'organiser et de pérenniser «un réseau» pour compiler toutes les informations disponibles dans ce domaine, les traiter, les analyser, les partager et mettre à disposition des acteurs les éléments nécessaires - à temps et sous le format requis - à la prise de décisions. Ce réseau impliquera les producteurs d'information ainsi que les parties prenantes dans le domaine de l'emploi et de la formation et aura des «ramifications territoriales».

La deuxième mesure vise à créer un cadre institutionnel de coordination et de pilotage pour la politique territoriale de l'emploi. Il s'agit par la mise en place de ce cadre institutionnel d'assurer la cohérence et l'harmonie nécessaires entre tous les intervenants chargés de la mise en œuvre à l'échelle régionale et locale du programme national de promotion de l'emploi des jeunes. Cette mission peut être confiée à des structures régionales qui exerceraient leur mission sous la coordination des walis de région et gouverneurs de province. Ces comités engloberaient les services extérieurs de l'Etat concernés, les élus, les associations et les organisations professionnelles, le secteur bancaire et les organismes de formation et d'intermédiation.

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Conseil économique et social

L'emploi des jeunes est une priorité nationale….

L'emploi des jeunes est une priorité nationale. Il correspond à de fortes attentes de la société en raison de son impact sur le lien social. Dans le même temps, il constitue une opportunité pour accélérer le développement économique et social de notre pays par la valorisation de compétences nationales. La question de l'emploi des jeunes est également une préoccupation de nombreux gouvernements de par le monde. Au-delà des effets immédiats de la crise économique actuelle, elle renvoie à une problématique complexe du fait des changements du rapport au travail induit par la nouvelle révolution technologique.

…et pour le Conseil économique et social, un sujet essentiel…

 Le Conseil économique et social a constitué en mars 2011 un groupe de travail ad hoc chargé d'examiner la question de l'emploi des jeunes, retenu comme thème prioritaire.

Le rapport d'étape établi par le Conseil définit les contours du diagnostic du chômage des jeunes, esquisse les pistes de réformes structurelles et présente les axes d'une mobilisation générale autour d'un programme national volontariste pour la promotion de l'emploi des jeunes

Dans les prochaines semaines, la commission permanente chargée des affaires de la formation, de l'emploi et des politiques sectorielles du conseil procédera à un examen approfondi de ces premiers axes et proposera les composantes concrètes de ce programme …nécessairement ouvert à la concertation et aux débats !

Au-delà de l'analyse des données et le bilan des mesures gouvernementales, ce rapport d'étape est le fruit de l'audition de 44 acteurs (départements ministériels, associations professionnelles et syndicales), dont des associations de jeunes pour près de la moitié. Il rend compte de ces auditions, des débats très riches qui les ont suivies ainsi que des échanges approfondis entre les membres du groupe de travail. Les conclusions de ce premier rapport d'étape sont rendues publiques afin de partager les orientations de long terme ainsi que les bases d'un programme national volontariste qu'il sera nécessaire de mettre en place en urgence. Il s'agit en particulier de s'assurer de la pertinence de ce programme, de sa faisabilité et de son adéquation avec les attentes et aspirations des jeunes. Les échanges qui en résulteraient permettraient d'enrichir le rapport final et d'améliorer son appropriation par l'ensemble des acteurs concernés.

 Source : WEB  Par Farida Moha | LE MATIN