Sécheresses : voici les cultures et les techniques d’irrigation gourmandes en eau à réguler
Toutes les cultures tropicales ou oasiennes (avocatiers, canne à sucre, palmiers dattiers…) ainsi que les cultures estivales (arboriculture fruitière, pastèque, luzerne, maïs…) sont gourmandes en eau. Des alternatives moins consommatrices en eau et rémunératrices pour les agriculteurs existent. Ces derniers doivent également rationaliser leurs techniques d’irrigation pour faire face aux pénuries d’eau.
Plus de 80% des réserves annuellement renouvelables en eau au Maroc sont consommés par l'agriculture. Avec les sécheresses successives et la pénurie d’eau actuelle, les experts alertent sur la poursuite de l’investissement dans certaines filières gourmandes en eau. D’ailleurs, selon des sources, certains agriculteurs ont décidé d’arracher quasiment leurs plantations, notamment d’arbres fruitiers, pour changer d’activité, face à la rareté de l’eau.
De même, les experts pointent certaines techniques d’irrigation que l’on croyait économes, mais qui ont finalement conduit au résultat inverse. En effet, l’irrigation localisée ou le goutte-à-goutte, mal gérée et subventionnée par l’État, a contribué à augmenter les volumes d’eau utilisés, causant une surexploitation des nappes et leur épuisement dans plusieurs régions. Ce constat a été confirmé par un récent rapport de la Banque mondiale, qui précise que cette pratique a une conséquence très inquiétante, du fait qu’elle épuise les réservoirs d’eau.
À cela s’ajoute le problème lié à la détérioration des sols. «Tout le monde se focalise aujourd’hui sur le stress hydrique, mais il ne faut pas omettre l’état de santé considérablement détérioré des sols, suite à l’intensification agricole. La teneur en matière organique des sols a beaucoup chuté», alerte Mohamed Taher Sraïri, enseignant chercheur à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II.
Quelles sont ces cultures gourmandes en eau ?
Dans les régions agricoles les plus favorables, comme les Doukkala, le Gharb, le Loukkos, le Tadla, etc., il pleut moins de 600 mm répartis seulement entre la fin de l’automne et le début du printemps (de novembre à mai), précise Pr Sraïri. Au cours des saisons sèches, l’irrigation est incontournable pour les cultures pratiquées en ces périodes. «La problématique d’aujourd’hui est la surconsommation d’eau par certaines cultures qui épuise non seulement cette ressource rare, mais également les nappes phréatiques».
Selon le professeur, toutes les cultures tropicales ou oasiennes (avocatiers, canne à sucre, palmiers dattiers, etc.) ont des besoins qui dépassent les 1.000 mm par an. D’autres cultures, comme la luzerne, ont des besoins encore plus élevés, atteignant les 1.500 mm par an. Et d’ajouter que «le drame des politiques agricoles récentes du Maroc a été d’encourager à outrance des cultures estivales (arboriculture fruitière, cucurbitacées comme la pastèque, luzerne et à un degré moindre le maïs, etc.) dans des régions où on a aussi prôné simultanément l’irrigation à partir des nappes, comme si cette ressource était inépuisable».
Contactée par «Le Matin», Ghizlane Makhchane, ingénieure et lead agronome à la société Sowit précise qu’il existe plusieurs cultures qui consomment beaucoup d’eau au Maroc, notamment les agrumes, qui ont besoin chaque année de 700 à 900 mm. Elle a cité également les cultures maraîchères (ex. : tomates), qui atteignent jusqu’à 1.000 mm par an, ainsi que les fruits rouges qui enregistrent des besoins de 1,5 à 2,0 mm par jour avec des pics de 8 mm en été.
La pastèque est également un fruit gourmand en eau. D’après les données communiquées par le mouvement «Maroc environnement 2050», un kilogramme de pastèque consomme 45 litres d’eau en cas de recours à la technologie de distillation, cela signifie qu’une pastèque de 10 kilogrammes peut consommer 450 litres d’eau.
Quant à la céréaliculture, qui reste l’une des cultures les plus dominantes au Maroc, les experts minimisent les risques pour l’instant sachant qu’elle ne nécessite pas d’irrigation puisque son cycle végétatif correspond à la période des pluies.
À l’échelle mondiale, les 3 principales cultures qui consomment beaucoup d’eau sont les amandes (2 milliards de m³ d’eau par an), l’avocat (100.000 litres d’eau irriguée par jour) et les bananes (160 litres l’unité), selon le Water Footprint Network.
Quelles solutions alternatives ?
Le Maroc a, aujourd’hui, une tendance vers la plantation des caroubiers. Cette culture arboricole présente des atouts intéressants, en raison de sa capacité à s’adapter à la sécheresse et à donner une rentabilité très élevée par ha. Selon le centre de recherche forestière, attaché à l’Agence nationale des eaux et des forêts, le caroubier offre le moyen aux agriculteurs de mettre en valeur des terrains inutilisables pour toute autre culture.
Le cactus peut être aussi une alternative adéquate pour le développement environnemental au Maroc, ajoute notre interlocutrice, notant que cette culture a une capacité d’adaptation au climat des zones arides et chaudes et peut vivre avec une faible quantité d’eau et supporter de longues périodes sèches. Toutefois, il faut mentionner que le cactus a été très fortement impacté par la cochenille qui a sévèrement ralenti la dynamique d’extension de cette culture.
Hormis ces alternatives, certaines cultures gourmandes en eau peuvent être maintenues avec une régulation de la production pour servir la demande locale et une rationalisation de l’irrigation pour limiter les dégâts sur le patrimoine hydrique.
Du goutte-à-goutte «rationalisé»
En plus de la variation des cultures, les experts appellent à encourager davantage les techniques d’irrigation rationalisées. «Le goutte-à-goutte n’est pas la panacée, parce qu’on est arrivé à une situation alarmante en pénurie d’eau, donc il faut avoir des solutions pour gérer le stress», considère Makhchane, notant que «pour ne pas irriguer d’une manière aléatoire, il faut revoir les politiques d’usage et de consommation». Elle a proposé, dans ce sens, l’adoption de nouvelles techniques de pilotage d’irrigation, comme la sonde capacitive qui permet de mesurer via la «permittivité diélectrique du sol», l’humidité du sol, en vue «de connaître le stock d’eau sur la profondeur explorée par la sonde». Le pilotage par modélisation est aussi une technique fiable pour gérer le stress hydrique par les agriculteurs, affirme l’ingénieure agronome. Il s’agit d’un modèle basé sur le bilan hydrique permettant de piloter l'irrigation en fonction des conditions météorologiques et des données parcellaires fournies par l'agriculteur.
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Une véritable stratégie pour l’agriculture pluviale
L’agriculture pluviale, appelée aussi l’agriculture «bour», n’est pas rentable dans les conditions actuelles, atteste Makhchane. «Aujourd’hui, nous avons un cumul de précipitations insuffisant pour les cultures comme les céréales et les fourrages. Les surfaces emblavées en céréales l’an dernier ont été fortement endommagées par la vague de chaleur parce que les agriculteurs n’ont pas pu faire la fertilisation qui s’applique au moment de la levée et lors du tallage à cause de l’absence de pluie», explique-t-elle. Toutefois, il faut un véritable effort de recherche et développement dans le futur proche pour faire des 80% de la surface agricole non irrigable le véritable levier de récupération du manque à gagner du secteur, rajoute le Pr Sraïri. Pour ce faire, une politique volontariste avec des objectifs sur le long terme est nécessaire, basée sur la sélection de variétés végétales et animales locales adaptées au stress thermique. Il faudra aussi faire un effort d’éducation de tous les acteurs du secteur agricole pour apprendre à augmenter la valorisation des facteurs de production, notamment l’eau, en vue d’améliorer les revenus des cultures et d’élevage et aboutir à une rémunération décente du travail effectué.
SOURCE WBE PAR LEMATIN
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