Les greniers collectifs ou igoudar: un trésor architectural marocain en perdition
- La cohabitation millénaire entre juifs et musulmans était coutumière à l’intérieur de ces greniers collectifs, devenus de véritables lieux d’échange
- Aujourd’hui, ce patrimoine culturel est en perdition et nécessite une restauration urgente car l’état de ces greniers se dégrade un peu plus chaque année
CASABLANCA: Le Maroc compte aujourd’hui près de 560 greniers collectifs sur tout son territoire. De véritables trésors ancestraux d’une valeur inestimable, très peu connus du grand public.
Agadir au singulier, iguider ou igoudar au pluriel. Ce mot, traduit de l’amazigh, signifie «forteresse», «mur» ou encore «grenier collectif». Érigées sur plusieurs étages, ces bâtisses se trouvent en majorité dans des endroits reculés de la région Souss-Massa, mais aussi du côté des provinces de Guelmim, Ouarzazate et Beni Mellal.
À l’époque, chaque tribu disposait de son propre grenier. Leur superficie dépendait du nombre d’habitants dans le village. L’agadir inoumar, situé dans la zone d’Aït Baha, est le plus grand jamais construit au Maroc. Composé de 300 chambres, ce grenier-citadelle s’étend sur une superficie de 5 000 m2. Chaque agadir est d’ailleurs unique en son genre.
En fonction de leur situation géographique, les matériaux utilisés étaient différents. Ainsi, les igoudar retrouvés dans les montagnes de l’Anti-Atlas ont été fabriqués à partir de bois d’arganier et de laurier rose. Pour les greniers, bâtis dans les plaines, c’est le système du pisé qui était privilégié pour la construction des murs.
Chaque tribu disposait de son propre grenier (fournie)
Premières banques de l’histoire
À l’origine, les igoudar étaient utilisés pour la conservation. Les habitants de l’époque y stockaient tout ce qui avait de la valeur, à commencer par l’orge, également appelé «l’or vert des montagnes».
Selon Khalid Alayoud, spécialiste de la question, cette céréale représentait un élément majeur du régime alimentaire de ces tribus, originaires des montagnes. «Ils utilisaient l’orge le matin pour préparer la soupe harira, vers 10 h, ils prenaient leur petit déjeuner avec du pain à base d’orge qu’ils mangeaient avec de l’huile d’argan. Leur repas principal, pris vers 14 h, était le couscous d’orge ibrin, avec des légumes bio sans viande, et le soir un autre plat à base d’orge, le tagoula.»
À l’intérieur de leurs cellules, les propriétaires conservaient également des jarres remplies d’huile d’olive, du beurre fondu, ou encore du miel. Ainsi, lors des grandes périodes de famine ou des années sèches, les réserves de nourriture cachées dans les igoudar, permettaient à de nombreuses tribus de survivre à ces fléaux.
Outre les denrées alimentaires, les objets précieux avaient aussi leur place dans ces greniers. Entre autres les titres fonciers, les actes de mariages, les bijoux en argent… «Je parle toujours de premier système bancaire qu’a connu l’humanité. Si on réalise une étude approfondie, on verra qu’il s’agit bien d’un système bancaire», assure Khalid Alayoud. «Il y avait des chambres fortes, où chacun disposait d’une cellule fermée à clé. Cette clé était gardée par la famille. Et un gardien gérait les entrées et sorties grâce à un code ou un autre système. Ces greniers étaient régis par une charte baptisée «louh» où étaient écrites noir sur blanc les règles à respecter à l’intérieur», précise le spécialiste.
Silos du XVe siècle (fournie)
Greniers-citadelles
Il y a plusieurs siècles, les greniers collectifs faisaient office de forteresses. Ces constructions, protégées par des remparts et des tours – atteignant parfois trois mètres de hauteur – se mariaient parfaitement avec le décor naturel au sein duquel elles étaient édifiées. À l’extérieur des édifices, on retrouvait des cactus à épine. Un premier rempart végétal qui permettait d’éloigner l’ennemi en cas d’attaque.
Si l’année de construction de ces monuments n’est pas clairement définie, elle remonterait selon les experts à plusieurs siècles. «Il faudrait plus de fouilles archéologiques, mais ces igoudar dateraient d’au moins six ou sept siècles. On se réfère pour cela au louh, notamment, celui d’agadir oujarif, le plus ancien. Il a été écrit en 1498», souligne l’enseignant-chercheur.
Plus difficiles d’accès, les greniers de falaises et de grottes, creusés dans les montagnes, seraient eux, bien plus anciens. Situés près de Taliouin, Ouarzazate, ainsi que dans la région de Beni Mellal, ces abris impressionnants témoignent du savoir-faire ancestral des autochtones.
Ces greniers étaient régis par une charte baptisée «louh» où étaient écrites noir sur blanc les règles à respecter à l’intérieur» (fournie)
Un «vivre ensemble» ancestral
Déjà, à cette époque, le Maroc prônait les valeurs du «vivre ensemble». D’ailleurs, la cohabitation millénaire entre juifs et musulmans était coutumière à l’intérieur de ces greniers collectifs, devenus de véritables lieux d’échange.
De nombreux artisans de confession juive possédaient leurs propres espaces, au sein des igoudar, dans lesquels ils confectionnaient et vendaient divers objets artisanaux. Un esprit de communauté et de coexistence qui reflète parfaitement l’esprit de solidarité des Marocains, à travers les siècles.
Des faits historiques encore trop peu relayés, selon les acteurs associatifs de la région. Pour ces derniers, l’histoire des igoudar devrait être incluse dans les manuels scolaires. Ce qui permettrait aux jeunes Marocains et aux générations futures de découvrir la richesse de leur patrimoine national et local.
À l’extérieur des édifices, on retrouvait des cactus à épines, un premier rempart végétal qui permettait d’éloigner l’ennemi en cas d’attaque (fournie)
Sauver les greniers
Aujourd’hui, ce patrimoine culturel est en perdition et nécessite une restauration urgente. Et pour cause, l’état de ces greniers se dégrade un peu plus chaque année. Une convention a été signée, au mois d’avril, par plusieurs experts, administrations et organismes publics marocains. Le but: créer un centre d’interprétation des igoudar.
À travers ce projet d’envergure, les acteurs concernés seront chargés de constituer un dossier complet sur ces monuments. Il permettra d’appuyer la candidature du Maroc auprès de l’Unesco, avec pour finalité, l’inscription des greniers collectifs au patrimoine mondial.
«Il faut commencer par inventorier toutes les études réalisées, mettre en place un groupe d’experts pour monter les dossiers. On parle ici d’un patrimoine matériel mais aussi immatériel, c’est un double dossier. Le matériel est tout ce qui est bâti, et l’immatériel est le mode de gestion et toute l’histoire de ces igoudar», ajoute avec ferveur le professeur Khalid Alayoud.
Très investi dans ce dossier, l’acteur associatif propose également de mettre en place une forme de tourisme qui invitera les visiteurs à découvrir les igoudar, le mode de vie des autochtones et leurs bonnes pratiques, comme la gestion durable des ressources naturelles. Un tourisme écologique et responsable, qui pourrait générer de nouveaux emplois et créer un véritable engouement pour ce secteur, dans certaines zones reculées du pays, dépourvues d’activité économique.
Le 24/04/2021
Source web Par : arab news
Les tags en relation
Les articles en relation
Maroc : L’UNESCO recommande à Rabat de revoir sa «folie des grandeurs»
Déclarée patrimoine mondial en 2012, la ville de Rabat a des comptes à rendre à l’UNESCO, notamment sur ses projets annoncés en grande pompe de se doter ...
#MAROC_ONMT_BENI_MELLAL_KHENIFRA: ONMT veut créer une marque pour la région de Béni Mellal-Khéni
Hier, lundi 18 janvier 2021, la tournée régionale de l’Office Nationale Marocain du Tourisme s’est arrêtée à Beni Mellal afin de rencontrer les profess...
#AGADIR_ECOSYSTEME_INDUSTRIEL: Spécial Agadir. “Les huit écosystèmes ont décomplexé le volet
La déclinaison régionale du PAI, à travers le projet industriel Souss-Massa, est un projet très ambitieux. Il ne faut pas oublier que la Région Souss-Mas...
La violence scolaire peut avoir des conséquences délétères
Bien qu’étant un phénomène difficile à éradiquer, en subir les effets n’est pas une fatalité Rim Akrache, psychologue au Centre national Mohammed V...
La formation des artisans en plein essor au Maroc : 19.000 apprentis en 2023
Le nombre d'inscriptions dans les centres d'artisanat marocains continue de croître, passant de 12 000 en 2022 à 16 000 en 2023. Cette année, 19 000 ...
Azoulay rend hommage aux Rois du Maroc qui ont "honoré la mémoire de juifs persécutés et morts"
M. André Azoulay, conseiller du Roi Mohammed VI, a rendu, mardi à Marrakech, hommage aux trois Rois du Maroc, Feu le Roi Mohammed V, Feu le Roi Hassan II et l...
L'UNESCO alerte : 90 % des terres émergées menacées de dégradation d'ici 2050
90 % des terres émergées en danger d'ici 2050, selon l'UNESCO L’UNESCO prédit que 90 % des terres émergées seront dégradées d’ici 2050, po...
Les États-Unis restituent le fossile d’un crocodile au Maroc
Les États-Unis ont remis officiellement aux autorités marocaines le fossile d’un crocodile volé qui a été localisé par le Federal Bureau of Investigatio...
Florence interdit les boîtes à clés pour lutter contre le surtourisme et protéger son patrimoine
La ville de Florence, emblématique capitale toscane, intensifie sa lutte contre les effets néfastes du surtourisme. À partir de 2025, les célèbres boîtes ...
Vidéo. Spectacle pharaonique: 22 momies royales dans les rues du Caire
Vingt-deux chars transportant des momies de rois et reines de l’Egypte antique ont défilé samedi soir dans les rues du Caire, lors d’un spectacle pharaoni...
Agadir/CGEM : Driss Boutti dévoile ses priorités
S’exprimant sur des sujets d’actualité économique, Driss Boutti, président de l’Union régionale de la CGEM Agadir Souss-Massa, est revenu sur les prin...
Le Maroc à Chinguetti : Diplomatie culturelle et préservation du patrimoine
La délégation marocaine a marqué sa participation à la 13e édition du Festival des cités du patrimoine à Chinguetti (Mauritanie) par une série de confé...


mardi 27 avril 2021
0 
















Découvrir notre région