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Le temps de l’amazigh

 Le temps de l’amazigh

actuel n°103, vendredi 15 juillet 2011 Après l’arabisation des années 1960, voici venu le temps de l’amazighisation. Mais alors que des commissions dédiées planchent d’ores et déjà sur les modalités techniques de l’officialisation de l’amazigh, la résistance s’organise. Réparation, réconciliation », ou encore « moment extraordinaire »... Les militants amazighs chantent en chœur leur satisfaction de ce qui reste l’une des avancées indubitables de la nouvelle Constitution : la reconnaissance, dans le préambule, de la composante berbère de l’identité marocaine. Et quelques articles plus loin, l’amazigh est promulgué langue officielle. Ahmed Assid, militant amazighiste et chercheur au sein de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) résume la situation d’un « voilà plus de 48 ans que nous luttons pour l’intégration constitutionnelle de l’amazigh ! C’est un acquis historique ! » Le recteur de l’Ircam, Ahmed Boukous, n’est pas moins lyrique. « D’un point de vue psychosociologique, c’est une réconciliation avec la culture amazighe occultée – sinon opprimée – depuis des siècles. Tout particulièrement depuis l’indépendance et l’arabisation. » Bien sûr, beaucoup d’amazighistes, également démocrates, souhaitaient plus de concertation dans l’élaboration du texte, et au final, une Constitution plus culottée, qui aurait instauré une véritable monarchie parlementaire. Certains lui reprochent aussi de mettre en avant la « composante arabo-islamique » du Maroc, réduisant ainsi les Berbères au rang de minorité. « Une représentation fausse et malhonnête de l’histoire et de la réalité socioculturelle du pays », dénonce sans ambages le bureau du Congrès mondial amazigh. Plus pragmatique, Ahmed Boukous avance que « dans la conjoncture actuelle, en tenant compte des rapports de force sociaux et politiques, les dispositions adoptées représentent la meilleure configuration possible ». Fin d’une discrimination linguistique et culturelle Les rapports de force ? D’un côté, explique le recteur de l’IRCAM, on trouve une communauté amazighe qui milite, via une myriade d’associations, et soutenue par les droits-de-l’hommiste et par quatre formations politiques : le MP de l’Amazigh Majdoubi Aherdane, le PPS, le PSU et le PAM. Cependant, tempère-t-il, « sur l’échiquier politique, le clan du “contre” (l’officialisation en bonne et due forme de l’amazigh) l’emporte en termes de représentation parlementaire ». Du côté de ceux que le militant Mounir Kejji qualifie d’emblée « d’amazighophobes », on retrouve « principalement l’Istiqlal et le PJD – dont le secrétaire général, Abdelilah Benkirane, a récemment qualifié le tifinagh “d’alphabet chinois” – et tous les partis et hommes politiques qui se reconnaissent dans les tendances nationalistes, baathistes ou islamistes ». Ainsi, selon Ahmed Assid, l’Istiqlal a, à la dernière minute, tenté d’infléchir la commission chargée de réviser la Constitution pour la faire revenir sur les dispositions concernant l’amazigh. En vain, car « 90% des mémorandums soumis à la commission concernaient l’officialisation de cette langue... » Et cette officialisation suscite de grands espoirs. Bien sûr, ce n’est pas demain que l’on pourra se présenter dans une administration avec un acte de vente rédigé en tifinagh... Mais « cela va mettre fin à la discrimination culturelle et linguistique pratiquée depuis 1956. Jusqu’à aujourd’hui, aucune loi ne mentionnait la protection de l’amazigh, s’exclame Assid. Du coup, on attend un grand changement dans le comportement des hauts responsables des administrations et des institutions. » Il n’est pourtant pas dupe. Tout dépend des fameuses lois organiques chargées de prévoir la mise en application des principes de la Constitution. Rien ne garantit que leur élaboration va se faire sans heurts. Au contraire, pour Mounir Kejji, tour à tour inquiet ou sceptique, « l’amazighité va faire l’objet de beaucoup de débats dans les semaines qui viennent ». Et l’opposition de l’Istiqlal ou du PJD peut ralentir l’élaboration d’une loi organique, comme la vider de toute substance et de toute force. A l’Ircam, Ahmed Assid est prêt. « Il faut faire pression sur le Parlement pour que les lois organiques voient le jour rapidement, et qu’il y ait un suivi efficace. Nous avons déjà commencé à nous organiser en commission de suivi avec nos alliés. La première s’est déjà réunie avec le PPS, le 1er juin dernier. On va faire de même avec le MP. » Ce n’est donc pas la fin, mais bien le commencement d’une nouvelle étape. Et les militants sont prêts à batailler pour que le Maroc connaisse enfin son « amazighisation ». Le tifinagh n’est pas du chinois ! Qualifié d’alphabet « chinois » par le turbulent secrétaire général du PJD, le tifinagh est utilisé depuis des siècles dans le Sahara, notamment par les touaregs. Selon Ahmed Assid, l’Ircam a recommandé cette graphie pour retranscrire l’amazigh (langue orale) parce qu’elle était la plus authentique, et aussi la plus facile à apprendre. Mais le tifinagh était aussi le choix le plus diplomatique... « L’alphabet arabe aurait soulevé la colère de beaucoup d’amazighistes, et l’alphabet latin aurait également irrité certaines personnes. Le roi a donc consulté les partis politiques. Tous étaient pour le tifinagh, sauf l’Istiqlal et le PJD qui ont milité pour l’alphabet arabe, impliquant que l’amazigh restât sous la tutelle de l’idéologie arabo-islamiste. » Si l’on pouvait craindre qu’un troisième alphabet à assimiler soit de trop pour nos chères petites têtes brunes, il n’en est rien, selon une étude menée conjointement par le ministère de l’Education et l’Ircam. « Le tifinagh est composé de signes et de symboles facilement mémorisables », témoigne Leila Abadi, qui enseigne l’amazigh à Rabat. Les lettres ne changent pas de forme selon leur place dans le mot, les élèves se l’approprient donc plus rapidement que l’alphabet arabe, même ceux qui ne sont pas amazighophones. « Les arabophones ont parfois des difficultés pour prononcer certains sons, mais le tifinagh ne leur pose aucun problème : on retrouve parfois des mots ou des phrases en tifinagh dans leurs cahiers d’arabe », renchérit l’enseignante. Et de conclure en disant qu’« au début, des parents faisaient des difficultés. Mais maintenant, certains viennent me demander de leur apprendre le tifinagh ou – carrément – l’amazigh ». Une minorité majoritaire Combien de Marocains parlent – principalement – amazigh ? La réponse est loin d’être évidente. Selon Ahmed Assid, ils étaient plus de 85% au début de l’indépendance. Depuis, on avait pris soin d’éviter le sujet, pour y revenir lors du dernier recensement. En 2004, selon les résultats officiels, seulement 30% en milieu rural, et 26% en milieu urbain, avaient pour langue première l’amazigh. Des chiffres qui ne convainquent pas totalement Ahmed Boukous... « Sur le plan technique, d’abord. Car la question, située en fin de liste, n’a pas été posée systématiquement – j’en ai moi-même fait l’expérience –, ce qui constitue un vice de forme. D’autre part, certains avancent que les résultats ont été tronqués pour des raisons politiques. » Sur ce point, le diplomate recteur de l’Ircam se garde bien de trancher. Mais il s’insurge contre la croyance désormais bien ancrée dans les têtes marocaines, que les Amazighs sont une minorité. « Une chose est sûre : d’un point de vue historique, personne ne peut contester que la majorité écrasante des Marocains soit de souche amazighe. » A bon entendeur... SOURCE WEB par Amanda Chapon Actuel