#Oued_Noun: Entre présent immédiat et passé renouvelable
Le choix de l’organisation d’une conférence sur les énergies renouvelables à Guelmim est une invitation au voyage dans la région d’Oued Noun, impliquée historiquement dans les mouvements d’échanges entre les rives du Sahara et le monde méditerranéen.
La troisième conférence des MD Talks, organisée par «Maroc diplomatique», s’est tenue le 22 octobre à Guelmim autour de la thématique des Energies renouvelables.
Un choix du lieu interpellant, si l’on considère son rôle historique comme espace entre plusieurs mondes, impliqué dans les mouvements d’échanges entre les rives du Sahara et le monde méditerranéen.
L’occasion pour moi de revenir ici sur quelques villes mythiques d’Oued Noun, connu pour ses gravures préhistoriques, ses kasbahs et ksour fortifiés, ses productions témoignant des modes de vies sédentaires et transhumants…
Il est surprenant d’apprendre que le périple de l’amiral carthaginois Hannon l’aurait mené en ces lieux vers le VIe siècle avant notre ère.
Là, dans l’emplacement actuel d’Assa, se déroulerait depuis ces temps antiques, un marché de poteries, assimilé à la fête des conges décrite dans le Périple du Pseudo-Scylax, et dont la foire d’Assa serait, d’après Fréderic de la Chapelle, «l’héritière directe».
C’est là aussi que se trouve un ksar, bâti au XIIIe siècle sur un éperon dominant une palmeraie arrosée par l’oued.
Son fondateur est Sidi Yazza Ou-Ihda, natif de Marrakech dans la maison de son grand-père maternel, le calife almohade Yaâqoub al-Mansour, avant de s’établir à Assa à la chute de la dynastie.
Point de convergence entre le nomadisme chamelier et la sédentarité oasienne, Assa héberge tant de coupoles qu’elle fut qualifiée de «Qaryat al-Awliya’» («le Village des saints») dont beaucoup s’illustrèrent comme pieux enseignants et combattants de la guerre sainte durant l’occupation ibère.
Séduits par l’appel du voyage, une cité enfouie au fabuleux passé, nous convie à son tour, située à environ 100 kilomètres au nord-ouest.
Il s’agit de Noun-Lamta, identifiée par plusieurs auteurs, appuyés par des fouilles archéologiques, à l’actuelle Asrir.
Antéislamique d’après les uns, décrite par les géographes al-Yaqubi ou Ibn Hawqal, c’est surtout durant le règne almoravide qu’elle s’imposa en tant que capitale régionale en une période marquée par la prédominance de la tribu-sœur des Lamta qui y confectionnait un remarquable bouclier à partir de la peau de l’antilope blanche (lamt).
Quant au noun (dit aussi Noul), ce serait sur le plan linguistique, ce mammifère marin qui donne son surnom au prophète Sidna Younès (Dhou-Noun).
A ce propos, une légende rapportée par le professeur Ahmed Joumani évoque Oued Noun comme étant le lieu où la baleine de Jonas se serait échouée, alors que d’autres récits mythiques renvoient le nom à une reine chrétienne appelée Nouna. Sans oublier les autres étymologies évoquant Oued-nouq (l’Oued aux chamelles), si ce n’est Oued ennoun (soit les anguilles).
Le Noun désigne donc à la fois l’oued, la région et la cité qui est investie en 1056 par les Almoravides dont le premier gouverneur y était Othmane ibn Moundi, considéré comme l’ancêtre du Leff Aït Othmane, branche des Tekna.
S’affirmant comme carrefour commercial et centre de production, la ville ne tarda pas à subir les conséquences de sa loyauté aux Almoravides avec ce qui s’ensuivit comme répression de la part des Almohades, prélude à son déclin dont subsistent comme vestiges les ruines de la forteresse d’Aguidir.
Parmi les personnalités qui en sont originaires: Ouaggag ben Zellou Lamti, fondateur à Aglou d’une des premières médersas du Souss où il eut pour disciple Abd-Allah ben Yacine qui allait donner l’impulsion au mouvement almoravide.
Comment ne pas citer également le mystique du XIIe siècle, Mhammed ben Amrou Lamti dont la zaouïa se trouve toujours au coeur d’un moussem annuel à Asrir, de même que son école perpétue sa mission d’enseignement.
Avec le déclin de Noun-Lamta, le pôle d’attraction se déplaça vers Tagaost, territoire des Gzoula, antiques Gétules des historiens latins.
La ville connait un essor considérable sous le règne mérinide, caractérisé par l’arrivée des tribus bédouines Maâqil qui formeront avec les Imazighen, la confédération Tekna.
En 1448, un document européen fait mention de Tagaost alors que Léon l’Africain y avait séjourné treize jours durant l’année 1513.
Dans sa «Description de l’Afrique», notre Hassan al-Ouazzan l’a dépeint comme la ville la plus importante du Souss, riche de ses 8.000 foyers, de ses commerces et de ses artisans, en vantant la fertilité de ses terres, l’abondance de ses troupeaux, la qualité de ses tissages vendus à Oualata, à Tombouctou et dans ce qu’il appelle «le Pays des Noirs».
Avec les incursions ibères sur le littoral depuis les Canaries et la tentative de construire un fort à l’embouchure de la rivière, la résistance a fait échouer en 1500, l’entreprise du conquistador Alonso Fernandez de Lugo qui dut son salut à la médiation des membres de la famille Bouayda, branche des Tekna.
Les activités commerciales de Tagaost n’en étaient pas affaiblies en tant que carrefour d’échanges entre les réseaux transsahariens et atlantiques où avait été signalée la présence d’esclaves chrétiens au milieu du XVIe siècle et d’un ascète de l’ordre des ermites de Saint-Augustin.
Par ailleurs, Tagaost avait entretenu des relations avec la principauté semlalienne du Tazeroualt, née à la fin du règne saâdien et vaincue par le premier sultan alaouite Moulay Rachid, qui avait réunifié le Royaume après une période de troubles survenue à la mort du puissant Ahmed al-Mansour.
Cette entreprise contre les Semlala du Tazeroulat et leurs alliés, avait abouti à l’effondrement de Tagaost et au départ de ses habitants vers Guelmim.
Sur ses décombres a vu le jour El-Ksabi, du nom des kasbahs qui formaient l’agglomération articulée autour d’une mosquée et d’une zaouïa en l’honneur du saint issu de Guelmim, Moulay el-Arbi.
Nous voici arrivés à Guelmim, bâtie sur la rive gauche de la rivière et tournée autour d’une source d’eau, expliquant d’ailleurs son appellation (Aguelmim désignant en amazighe une nappe d’eau douce).
Ceinte de remparts, dotés de cinq portails, d’un grenier collectif, elle fut le siège du chef local du clan des Âl-Birouk qui appartiennent à une famille saharienne Tekna, du Leff Aït Jmel, précisément de la fraction Aït Moussa Ou-Ali, établie à Oued Noun depuis les oasis du Touat.
Une de leurs personnalités de renom est Mhammed ben Saoud, nommé gouverneur des Tekna et des Rguibat par le sultan Moulay Ismaïl.
En raison de l’emplacement de Guelmim, la famille ne tarda pas à former une grande maison commerciale, dotée d’une belle fortune, contribuant à faire de Guelmim une florissante cité caravanière.
Dans leurs recherches de débouchés, les Âl-Birouk avaient entretenu des relations avec l’Angleterre en 1835, puis avec les Français d’Essaouira en vue de l’ouverture d’un port à Assaka, avant que le sultan Moulay Abd-Rahmane n’intervienne, interdisant le contact avec les Européens et assouplissant la politique fiscale.
Le professeur Ahmed Belkadi précise qu’au XVe siècle, toute la région a été impactée par la présence portugaise induisant des changements au niveau des voies commerciales. Puis, à partir du XVIe siècle, «Oued Noun commença à jouer de nouveau, le rôle d’une zone de collecte, de redistribution et de transit des marchandises entre le sud et le nord du Sahara. Mais cette fois-ci, c’est Guelmim qui apparait comme principal centre dans la vallée».
Bien d’autres lieux peuvent être mentionnés: Tighmert, Fask, Bouzakaren, Abaynou, Taghjijt où domine la forteresse almohade Tiguemmi Ouguellid (ou Dar Soltane)…
Sans oublier Ifrane de l’Anti-Atlas (dite aussi Oufrane) dont Léon l’Africain témoigne du commerce de ses habitants, qui les menaient à Tombouctou en évoquant ses quatre forteresses séparées par des plantations de palmiers.
Elle comprenait aussi une communauté hébraïque considérée comme la plus ancienne du Maroc, arrivée dans la région selon la tradition juive, dans le sillage de la destruction du premier Temple après une halte de quelques générations en Egypte.
Comme témoignage de ce passé, une stèle funéraire daterait du Ve siècle, bien que les épitaphes déchiffrables ne permettent pas de remonter au-delà du XIe siècle, explique Daniel Schroeter.
Ifrane est aussi renommée pour les personnalités qu’elle a donné au pays à l’instar de l’historien Mohamed Seghir el-Ifrani.
On saisit avec tout cela la portée des regards qui convergent vers ce havre… «Plus vous saurez regarder loin dans le passé, disait Churchill, plus vous verrez loin dans le futur».
Le 12/11/202
Source web par : le360
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