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Fin du jugement des civils devant le Tribunal militaire Une nouvelle étape dans la consolidation de l'État de droit

Fin du jugement des civils devant le Tribunal militaire   Une nouvelle étape dans la consolidation de l'État de droit

Désormais, la compétence du Tribunal militaire se limitera uniquement à juger des militaires pour des délits exclusivement militaires.

Le projet de loi n ° 108-13 relatif à la justice militaire, qui stipule que le Tribunal militaire ne sera plus compétent pour juger des civils, renforce les bases d'une justice indépendante et spécialisée garantissant les droits et les libertés, notamment en ce qui concerne la préservation des droits des justiciables, l’indépendance de la justice, la garantie du procès équitable, le droit à un recours effectif ou encore le droit à la protection judiciaire. Il vise à adapter cette loi aux dispositions de la Constitution et de la législation du Royaume. Dans ce sens, l’article 127 de la Constitution précise que : «Les juridictions ordinaires ou spécialisées sont créées par la loi. Il ne peut être créé de juridiction d’exception». En effet, le tribunal militaire obéit à une juridiction spécifique. Ses verdicts sont sans appel et les victimes ne peuvent pas demander de se constituer partie civile. Il s’agit également de lever la confusion qu’implique la dualité de la définition de cette juridiction, considérée par l’article 10 du Code de la justice militaire comme «un tribunal permanent», alors que la Cour suprême la considère comme «une juridiction d’exception». Sachant que ce Tribunal militaire permanent pouvait juger des civils dans certaines circonstances. Selon le projet de loi, même les militaires ne seront plus automatiquement déférés devant cette juridiction d’exception. Ils seront jugés par des juridictions civiles pour des délits de droit commun comme la signature d'un chèque sans provision ou le non-versement d'une pension alimentaire.

En outre, le projet de loi vise à harmoniser ses dispositions avec les traités et conventions internationaux relatifs aux droits de l'Homme ratifiés par le Royaume, notamment dans le cadre du Comité contre la torture qui a recommandé au Maroc de «modifier sa législation afin de garantir à toutes les personnes civiles d’être jugées exclusivement par les juridictions civiles». Ces droits sont notamment reconnus par les principaux textes internationaux de protection des droits de l’Homme tels que le Pacte international des droits civils et politiques de 1966, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH) ainsi que la Convention américaine des droits de l’Homme (CADH). En 2010, pas moins de dix associations avaient présenté un mémorandum sur la réforme de la justice, prévoyant une refonte des compétences, de la composition et de la procédure appliquée devant le tribunal militaire permanent des FAR. De même, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) avait publié un mémorandum relatif à l’amendement du Dahir n° 1-56-270 formant Code de justice militaire. La CNDH remet en cause l’article 3 qui donne compétence à la juridiction militaire de juger «toutes personnes, quelle que soit leur qualité, auteurs d’un fait, qualifié de crime, commis au préjudice de membres des Forces Armées Royales et assimilées». Le conseil a préconisé, le 2 mars 2013, de supprimer la possibilité de poursuivre des civils devant une juridiction militaire, afin d’harmoniser la législation nationale avec la nouvelle Constitution adoptée en 2011 et les engagements internationaux du Royaume. Le CNDH a également estimé que le tribunal militaire ne devrait connaître, en temps de paix, que des infractions relevant de la discipline militaire, ou impliquant un militaire en matière d’atteinte à la sûreté de l’État ou de terrorisme. Pour toutes les autres affaires, les militaires deviendraient, à l’instar de leurs concitoyens civils, justiciables des juridictions ordinaires. 


Témoignages : 

Lahbib Belkouch, directeur du Centre d'études des droits de l'Homme et de la démocratie

«Le nouveau projet de loi est un pas positif sur le chemin de la réforme de la justice. Il stipule que les civils ne seront plus traduits devant les tribunaux militaires, ces derniers auront les compétences de statuer uniquement sur les affaires impliquant des militaires en service. Les affaires civiles impliquant des militaires seront traitées devant les tribunaux civils conformément à la loi. Ces mesures, appliquées dans toutes les démocraties, vont garantir les conditions d’équité lors des procès surtout que le projet de loi ouvre la possibilité de recours devant la Cour de cassation. Le projet de loi qui traduit parfaitement les choix du Maroc dans le domaine de la réforme de la justice constitue une réponse aux doléances des organismes des droits de l’Homme avec à leur tête le CNDH qui a déjà formulé une requête dans ce sens».

Amina Bouayach, SG de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH)

«À mon avis, ce nouveau projet de loi contient deux points très importants, il s’agit dans un premier temps du «droit de recours». Cette mesure qui n’existait pas avant pour la justice militaire sera désormais possible devant la Cour de cassation. Ce qui constitue l’un des fondements du procès équitable. Pour le deuxième point, il s’agit de l’interdiction formelle du jugement des civils devant le tribunal militaire et c’est quelque chose de tout à fait normal, car il faut une séparation des prérogatives des tribunaux pour une justice équitable. Ces mesures relevées répondent aux demandes et aux exigences des différents organismes actifs dans le domaine des droits de l’Homme en attendant la publication du projet pour une étude plus approfondie. On peut dire que les mesures citées sont adaptées aux dispositions de la constitution et aux principes fondamentaux de la justice.» 

Abdelilah Benabdesslam, Vice-président de l’AMDH (Association marocaine des droits de l’Homme)

«On peut dire que le nouveau projet de loi apporte plusieurs nouveautés et a pu réaliser un progrès important surtout en matière d’interdiction de la traduction des civils devant le tribunal militaire. Ce qui répond aux réclamations des associations actives dans le domaine des droits, dont l’AMDH. Cependant certains points restent à réformer et dans notre association on demande notamment le changement de la procédure de nomination des juges pour les tribunaux militaires ainsi que la procédure de jugement et qui se base sur un vote de la part des juges et non pas sur de vraies délibérations. On réclame aussi que le tribunal militaire ne soit constitué qu’en cas de guerre sans oublier la cause pour laquelle nous militons et qui est l’abolition de la peine de mort.» 

Khadija Ryadi, AMDH

«Le projet de loi constitue une avancée non négligeable dans la mesure où il a répondu à un certain nombre des revendications des organisations de défense des droits humains, comme la non-poursuite des civils et de quelques militaires dans certains cas par le tribunal militaire, ainsi que la garantie du droit de recours. Toutefois, le projet de loi, qui n’a fait aucune allusion à l’abolition de la peine de mort, a conservé les mêmes pouvoirs au juge qui reste un civil, au moment où les autres membres du tribunal sont des militaires. »

Yassine Makhli, président du Club des magistrats du Maroc

«Cette modification de loi conforte les principes de l’État de droit et de la justice. Et ce, conformément aux normes internationales relatives à l’indépendance de la justice. Elle reste très positive et s’inscrit parfaitement dans le cadre des principes de l’État de démocratie. Un État qui respecte ses citoyens et leur garantit le droit à un jugement équitable et qui considère que les procès des citoyens civils et semi-militaires doivent être jugés devant les tribunaux civils. Conformément à cette nouvelle modification, les tribunaux militaires n’auront plus le droit d’arbitrer les procès des citoyens civils. À noter aussi que cette nouvelle disposition émane en majeure partie des revendications des différentes associations des droits humains dont on retient notamment le Conseil national des droits de l’Homme. Ce texte est un acquis important pour l’esprit de l’État de droit, d’équité, de démocratie, de modernité, conformément aux normes internationales relatives à l’indépendance de la justice.»

Abdelilah Tatouch, membre du bureau exécutif du Centre marocain des droits de l’Homme (CMDH)

«Nous nous félicitions de l’adoption d’un tel projet de loi qui permettra de s’adapter aux dispositions de la Constitution et de préserver les droits des justiciables et l’indépendance de la justice. Cette nouvelle réforme répond favorablement aux revendications des organisations de défense des droits humains. Comme vous le savez, au sein du CMDH, nous avons toujours demandé de supprimer la possibilité de poursuivre des civils devant une juridiction militaire, afin d’harmoniser la législation nationale avec la nouvelle Constitution adoptée en 2011 et les engagements internationaux du Royaume.»

Abderrahmane Mekkaoui, expert des affaires militaires et stratégiques

«Sa Majesté le Roi a posé la première pierre dans la démocratisation de l’administration militaire la rendant plus professionnelle et plus juste. Une administration qui se nourrit des principes de l’État de droit et de la justice auquel Sa Majesté a toujours aspiré depuis Son accession au Trône. C’est le premier chantier que Sa Majesté a lancé dans le but de réhabiliter et moderniser cette administration. Aujourd’hui, le geste du Souverain vise à démocratiser cette administration et la rendre proche de celles des autres pays démocratiques comme le Portugal, la France, l’Espagne et l’Italie. Forte de ces acquis, l’administration militaire marocaine jouit d’une reconnaissance sur le plan mondial notamment auprès de l'Organisation des Nations unies qui lui confie plusieurs missions pour instaurer la sûreté et la paix. On citera l’exemple de Kosovo et la Somalie, la Côte d’Ivoire, le Congo démocratique et actuellement au Centre Afrique dans lesquels notre administration militaire avait joué un grand rôle dans ce sens.»


Une décision royale saluée par le Président américain.

Pour rappel, le Communiqué conjoint entre les États-Unis d'Amérique et le Royaume 
du Maroc, ayant sanctionné la rencontre au Sommet, vendredi 22 novembre 2013 à la Maison Blanche, entre Sa Majesté le Roi Mohammed VI et le Président américain, Barack Obama, avait annoncé que le Président a salué l'engagement de Sa Majesté le Roi à mettre fin au jugement des civils devant des tribunaux militaires.  
Les deux dirigeants avaient aussi réaffirmé leur attachement au système des droits de l'Homme des Nations unies et son rôle important dans la protection et la promotion des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, et s’étaient engagés à approfondir le dialogue maroco-américain  en cours sur les droits de l'Homme, qui a été un mécanisme productif et utile pour l'échange de points de vue et d'informations.

Publié le : 14 mars 2014 –SOURCE WEB Par El Mahjoub Rouane, LE MATIN

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