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La Banque mondiale planche sur la 3e édition de son rapport sur la richesse des Nations

La Banque mondiale planche sur la 3e édition de son rapport sur la richesse des Nations

Entretien avec Jean-Pierre Chauffour, économiste principal de la Banque mondiale pour le Maroc et la région MENA
Jean-Pierre Chauffour : «Pour les pays à revenu intermédiaire ou émergents comme le Maroc, la part du capital immatériel dans la richesse nationale se situe entre 50 et 70%».
Afin de mieux cerner le concept de capital immatériel, ses enjeux et ses implications, tant au niveau macroéconomique qu’à l’échelle des entreprises, la Fondation Attijariwafa bank a fait appel à des experts de renom pour animer une conférence sur le «Capital immatériel : utilité, évaluation et impact». Il s’agit de Tawfik Mouline, DG de l'Institut royal des études stratégiques (IRES), Jean-Pierre Chauffour, économiste principal de la Banque mondiale pour la région MENA, et Jean-Claude Dupuis, professeur à l’Institut d'administration des entreprises (IAE) de Paris (cf. notre édition du week-end). Lors de cet événement organisé à Casablanca, le 23 octobre dernier, tous les intervenants ont mis l’accent sur l’importance de l’évaluation du capital immatériel pour mesurer la valeur globale des États et des entreprises afin de mieux orienter les politiques de développement. Le PDG du groupe Attijariwafa bank, Mohamed El Kettani, a qualifié la prise en compte du capital immatériel dans l'évaluation de la richesse nationale de «révolution statistique». Une révolution appuyée notamment par la Banque mondiale.
Le Matin : Pourquoi mesurer le capital immatériel ?

Jean-Pierre Chauffour : Le capital immatériel vise à analyser l’économie à travers les stocks et non les flux. C'est-à-dire qu’on s’intéresse à l’actif et au passif, à l’évolution du patrimoine plutôt que quantifier le flux de production nouvelle de richesse, comme c’est le cas dans le PIB. Le PIB vise à mesurer la valeur ajoutée des différents secteurs de l’économie pour une année donnée. Cependant, cette valeur ajoutée peut être le résultat d’une vraie création de richesses comme elle peut résulter d’une simple destruction du patrimoine naturel d'un pays. Le PIB prend en compte la production qui augmente, mais pas la destruction des richesses naturelles existantes.
De même, cette production nouvelle de richesse peut être génératrice de bien-être comme elle peut ne pas l’être. Par exemple, si le nombre croissant d'accidents de la route contribue à augmenter le PIB du fait des soins médicaux et des réparations automobiles qu'ils engendrent, il est évident que ces accidents ne contribuent pas à augmenter la richesse du pays, ni à améliorer la qualité de vie ou le bien-être des populations. Par ailleurs, on peut trouver des activités réelles qui enrichissent le pays comme des activités sociales solidaires ou même des tâches ménagères valorisant pleinement le capital humain – exemple de l’appui éducatif des enfants à la maison par les mamans –, mais qui ne sont pas incluses dans le PIB.
Ainsi, de manière plus générale, le PIB ne prend pas en compte des aspects importants du développement humain, de la qualité de la vie et de l’évolution du patrimoine. Il reste une mesure partielle pour apprécier la véritable richesse d’une nation et donc guider sa politique économique.


Comment la Banque mondiale définit-elle le capital immatériel ?
Le capital immatériel est l’une des composantes de la richesse des nations.
Ce capital immatériel ou intangible recouvre principalement le capital humain, social et institutionnel d'un pays. La Banque mondiale s’est lancée dans un exercice en 2005 avec un rapport publié en 2006 afin d’essayer de développer une méthodologie pour mesurer la richesse des nations. Ce premier rapport a fait l'objet d'une actualisation en 2011, permettant ainsi de mieux connaitre l'évolution de la richesse des nations entre 1995 et 2005. La méthodologie qui est suivie consiste à calculer le capital immatériel de manière résiduelle comme la différence entre la richesse totale du pays – elle-même estimée comme la valeur actualisée de consommation future soutenable du pays – et la somme des autres composantes de la richesse, essentiellement le capital produit et le capital naturel. Cet exercice a été mené sur 120 pays. La méthodologie est en développement et donc les estimations actuellement disponibles du capital immatériel des pays sont principalement indicatives. D'où le besoin d'approfondir la recherche scientifique.
Que peut-on retenir de ces estimations ?
Lorsqu’on regarde ces 120 pays, composés de pays développés, émergents ou en voie de développement, ce que l’on constate c’est que pour les pays avancés – les pays de l'OCDE essentiellement – le capital immatériel représente plus de 80% de la richesse nationale. Pour les pays à revenu intermédiaire ou émergents comme le Maroc, la part du capital immatériel dans la richesse nationale se situe entre 50 et 70%. Pour les pays moins avancés, cette part est inférieure à 50%. L’important est que pour avoir une richesse plus élevée à l’avenir et rattraper rapidement le niveau de développement des pays les plus avancés, un pays devra mettre énormément l’accent sur la richesse immatérielle. Car le développement durable repose essentiellement sur l'accumulation d'actifs immatériels. Il faudra donc travailler sur le renforcement du capital humain, notamment l’éducation, du capital social et surtout du capital institutionnel, essentiellement l’amélioration de la gouvernance et la qualité des institutions, acteurs majeurs du développement des pays.
La Banque mondiale travaille-t-elle sur une nouvelle édition de ce rapport ?
Après les éditions de 2006 et 2011, les équipes de Washington travaillent sur la troisième édition de ce rapport afin de connaitre l'évolution de la richesse des nations. Il devrait être disponible l’an prochain. Ces équipes planchent notamment sur l’amélioration des différentes méthodologies, entre autres de certaines sous-composantes spécifiques.
Comment entrevoyez-vous le capital immatériel au Maroc, comparé à ses voisins maghrébins ?
On est dans des configurations très différentes. S’agissant de l’Algérie, sa part du capital naturel, notamment les ressources pétrolières et gazières, est beaucoup plus élevée que dans le cas du Maroc. Mais le capital immatériel de l’Algérie est beaucoup plus faible que celui du Maroc. C’est un signe important, car le Royaume serait dans une meilleure position que l’Algérie dans les années à venir pour converger plus rapidement et développer davantage son capital immatériel. Si le Maroc se contentait d’exploiter des ressources naturelles, qui sont peu transformées, il ne développerait pas du capital immatériel. De ce point de vue, le Maroc est certainement dans une situation plus favorable que son voisin direct. En revanche, lorsqu’on compare le pays avec la Tunisie, on s’aperçoit que cette dernière est plus en avance sur le capital immatériel, grâce essentiellement à son capital humain du fait de l’éducation.
Comment votre institution accompagne-t-elle le Maroc dans le développement de son capital immatériel ?
Si vous regardez la stratégie d’assistance pour la période 2014-2017, discutée évidemment avec les autorités marocaines avant son adoption par notre conseil d’administration en début d’année, vous allez constater que la Banque mondiale s'est engagée à accompagner le Maroc essentiellement sur des thématiques qui touchent le capital immatériel à travers un soutien financier, technique et analytique amplifié. Les piliers essentiels de cette stratégie concernent en effet des thématiques telles que la gouvernance – notamment du climat des affaires et des institutions pour une meilleure prestation de services à tous les citoyens –, la croissance verte et l’inclusion, notamment des jeunes et des femmes, dans l’économie marocaine.

25 octobre 2014
SOURCE WEB par Moncef Ben Hayoun, LE MATIN

Tags : Pour les pays à revenu intermédiaire ou émergents comme le Maroc, la part du capital immatériel dans la richesse nationale se situe entre 50 et 70%»- Jean-Pierre Chauffour, économiste principal de la Banque mondiale pour la région MENA- Jean-Claude Dupuis, professeur à l’Institut d'administration des entreprises (IAE) de Paris - Le PDG du groupe Attijariwafa bank, Mohamed El Kettani, a qualifié la prise en compte du capital immatériel dans l'évaluation de la richesse nationale de révolution statistique, une révolution appuyée notamment par la Banque mondiale - Le capital immatériel vise à analyser l’économie à travers les stocks et non les flux- Le PIB prend en compte la production qui augmente, mais pas la destruction des richesses naturelles existantes- Le capital immatériel est l’une des composantes de la richesse des nations- La Banque mondiale s’est lancée dans un exercice en 2005 avec un rapport publié en 2006 afin d’essayer de développer une méthodologie pour mesurer la richesse des nations. Ce premier rapport a fait l'objet d'une actualisation en 2011, permettant ainsi de mieux connaitre l'évolution de la richesse des nations entre 1995 et 2005-La méthodologie est en développement et donc les estimations actuellement disponibles du capital immatériel des pays sont principalement indicatives, d'où le besoin d'approfondir la recherche scientifique- pour les pays avancés, les pays de l'OCDE essentiellement, le capital immatériel représente plus de 80% de la richesse nationale, pour les pays à revenu intermédiaire ou émergents comme le Maroc, la part du capital immatériel dans la richesse nationale se situe entre 50 et 70%- le développement durable repose essentiellement sur l'accumulation d'actifs immatériels- le Royaume serait dans une meilleure position que l’Algérie dans les années à venir pour converger plus rapidement et développer davantage son capital immatériel- En revanche, lorsqu’on compare le pays avec la Tunisie, on s’aperçoit que cette dernière est plus en avance sur le capital immatériel, grâce essentiellement à son capital humain du fait de l’éducation- la Banque mondiale s'est engagée à accompagner le Maroc essentiellement sur des thématiques qui touchent le capital immatériel à travers un soutien financier, technique et analytique amplifié-