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Entretien avec Nicolas Hulot, Envoyé spécial du Président Hollande pour la protection de la Planète Enrayer le dérèglement climatique ne passe pas uniquement par la baisse des émissions de gaz à

Entretien avec Nicolas Hulot, Envoyé spécial du Président Hollande pour la protection de la Planète  Enrayer le dérèglement climatique ne passe pas uniquement par la baisse des émissions de gaz à

Nicolas Hulot, Envoyé spécial pour la protection de la Planète du Président de la France, fut, en octobre dernier, l'invité spécial de la douzième session de la conférence des parties (COP 12) de la convention des Nations Unies pour la lutte contre la désertification qui s’est tenue à Ankara. De part son intervention qui n'a pas laissé indifférent les consciences à l'ouverture officielle de la COP, la présence du conseiller de François Hollande, à quelques semaines du sommet du climat de Paris, a servi d'une part à mettre en évidence les liens intrinsèques entre le changement climatique et la dégradation des terres, et d'autre part, à envoyer un message ambitieux et fort à la COP 21 afin que le nouveau accord intègre la question des terres pour leur capacité de séquestrer le carbone dans les sols jusqu'à la moitié de l'objectif limite de +2°C. La COP 12 tenue en Turquie en une période importante de l'agenda mondial du développement située entre le sommet du Climat en décembre prochain à Paris et l'adoption par l'Assemblée Générale des Nations Unies, en septembre dernier à New York, des Objectifs du Développement Durable dont l'Objectif de Neutralité en matière de Dégradation des Terres (Land Degradation Neutrality/LDN).

Eclairages sur ces questions dans cette interview accordée par Nicolas Hulot à L'Opinion en marge de la COP 12 Désertification en Turquie.

L’Opinion : La dégradation des terres et des sols influe directement sur le climat et vice versa. Pourquoi a-t-on mis tant de temps pour que cette question ait sa place (la pièce manquante, dit-on) au sein des négociations climatiques ?

Nicolas Hulot : A Rio en 1992 lors du Sommet de la terre, le principe de trois conventions a été arrêté : la Convention sur la diversité biologique est entrée en vigueur le 29 décembre 1993, la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) entrée en vigueur le 21 mars 1994 et la Convention des Nations Unies de lutte contre la Désertification, la dernière des trois conventions de Rio a été adoptée, à Paris, deux ans après le Sommet de Rio, le 17 juin 1994. Si elles relèvent de trois conventions distinctes, ces trois problématiques sont en fait très étroitement imbriquées. Ainsi, l'élévation rapide des températures affecte la biodiversité : les espèces n'ont pas le temps de migrer ou de s'adapter. Fragilisées, elles dépérissent parfois jusqu'à disparaitre. La désertification est à la fois accentuée par l'alternance de longues périodes de sécheresse suivies de pluies intenses qui lessivent les sols, et quand les sols sont dégradés, asséchés, ils ne stockent plus le carbone comme le font les écosystèmes en bonne santé, participant ainsi au réchauffement climatique.
Les négociations des Objectifs du développement durable - adoptés en septembre dernier par l'Assemblée générale des Nations Unies - a été l'occasion de sortir de la logique d'une approche «en silo» - où chaque thème est négocié indépendamment des autres - pour aboutir à une approche systémique, intégrée des questions d'environnement. Par ailleurs, l'apport des scientifiques mobilisés pour établir diagnostics et solutions tant sur les questions climatiques que de gestion des sols a fait progresser la connaissance : nous comprenons mieux les mécanismes en jeu !

C'est tout cela qui a contribué à ce qu'aujourd'hui la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques reconnaisse l'apport, en termes de stockage de carbone, des efforts de restauration des sols effectués dans le cadre de la Convention de lutte contre la désertification.
L’Opinion : A quel point cette reconnaissance sera-t-elle prise en compte à la COP21 pour que l'accord de Paris intègre les terres en vue de lutter contre le réchauffement climatique à travers le principe de la neutralité en matière de dégradation des terres -déjà intégrée dans l'agenda post-2015- et réaffirmé dernièrement par la COP12 de la CCD?

Nicolas Hulot : Dans le cadre de la mission que m'a confiée le Président de la République, j'ai plaidé sans relâche pour expliquer que nous ne pourrons pas enrayer le dérèglement climatique en jouant sur le seul levier de la baisse des émissions de gaz à effet de serre - ce que les experts appellent l'atténuation. Il nous faut aussi aider la nature, les écosystèmes, à s'adapter à l'élévation des températures pour que notre planète continue de nous offrir des conditions de vie supportables par l'espèce humaine. La restauration des sols dégradés, tout comme la reforestation ou le fait de préserver de larges étendues marines de toute exploitation, participe, au même titre que l'atténuation, à la lutte contre le changement climatique. Je souhaite que cela soit bien pris en compte dans l'accord qui sera signé à Paris et dont la négociation dépend autant de la France que des 195 parties à la CCNUCC !

L’Opinion : Vous semblez avoir une vision un peu différente quant à l'Objectif LDN. Pourquoi cet Objectif visant à la fois l'arrêt/prévention de la dégradation et la restauration des terres dégradées, n'est-il pas assez ambitieux selon vous?

Nicolas Hulot : Oui, c'est vrai, je pense qu'il nous faut aller au-delà de la simple neutralité en termes de dégradation des terres parce que le réchauffement climatique accélère le phénomène dans les zones les plus fragiles notamment mais pas seulement. C'est pourquoi je crois nécessaire d'instaurer un système de «compensation positive». La compensation positive, c'est pour un hectare dégradé, prévoir d'en restaurer deux. Le retard pris, l'accroissement annoncé de la population à 9 milliards d'ici à 2050 nous impose aujourd'hui de mettre les bouchées doubles !

L’Opinion : L'économie du monde industrialisé repose lourdement sur les énergies fossiles dont les besoins futurs s'élèvent à 50% en 2030. Comment Paris parviendra-t-elle à éviter l'échec de Copenhague et faire signer un deal contraignant qui engage les grands pollueurs vis-à-vis des pays en développement et assure la transition vers une économie décarbonisée?
Nicolas Hulot : Depuis Copenhague, les choses ont évolué ! Aujourd'hui, je crois vraiment que tout le monde a bien compris que l'enjeu des négociations climatiques c'est celui de la survie de millions de personnes. Lors des déplacements que j'ai effectués dans le cadre de ma mission, j'ai pu constater une véritable volonté d'aboutir à un accord universel et ambitieux.
À moins d'un mois de l'ouverture de la Cop21, 156 pays ont déposé leur contribution - leur INDC - couvrant plus de 86% des émissions mondiales de GES en 2012. C'est un effort sans précédent ! Par ailleurs, un autre facteur d'espoir est le bond en avant fait dans le domaine des énergies renouvelables. Ainsi, les prix de l'énergie solaire photovoltaïque (PV) ont chuté de 80% depuis 2008 et devraient continuer de baisser. Le solaire rivalise de plus en plus avec les autres ressources sans recourir à des subventions : par exemple, l'électricité produite par une nouvelle centrale solaire de 70 mégawatts (MW) en cours de construction au Chili devrait, selon les prévisions, se vendre sur le marché national en concurrence directe avec celle produite à base de combustibles fossiles. Le coût de l'électricité éolienne terrestre a chuté de 18% depuis 2009, avec une baisse des coûts des turbines de près de 30% depuis 2008, la rendant ainsi la source d'électricité nouvelle la moins chère sur un marché qui ne cesse de s'étendre. Plus de 100 pays utilisent aujourd'hui l'énergie éolienne. Je ne peux prédire ce qui se passera à Paris mais il y a des raisons d'espérer !

L’Opinion : Le dérèglement climatique et la dégradation des terres sont des facteurs socialement et politiquement déstabilisants. Le sommet de paris se penchera-t-il sérieusement sur le défi de la migration forcée ?

Nicolas Hulot : Indirectement, oui si l'accord de Paris permet de tenir l'objectif d'une élévation de la température dans la limite des deux degrés d'ici à la fin de ce siècle. Si - comme je l'espère - des mesures efficaces sont prises pour lutter contre la dégradation des sols, oui bien sûr, cela contribuera à permettre aux populations des petites îles - qui, si nous ne faisons rien, pourraient voir leurs îles englouties, comme à celles de la bande sahélienne - de rester vivre sur la terre où elles sont nées, sur la terre de leurs ancêtres !

L’Opinion : Après Paris, Marrakech abritera La COP22 en 2016. Les deux sommets -l'un au Nord, l'autre au Sud- sont-ils différemment décisifs ? Et quel rôle aura le Maroc à jouer dans les négociations climatiques de l'après 2015?

Nicolas Hulot : Nous verrons le 12 décembre l'accord qui sortira de Paris mais si - là encore comme je le souhaite - l'accord conclu correspond à la feuille de route qui a été définie par les 195 États parties à la CCNUCC en 2011 à Durban, la Cop21 sera celle de l'engagement, de la volonté commune d'agir ensemble pour lutter contre le dérèglement climatique. Restera ensuite à définir comment transformer cet engagement en action et je souhaite de tout cœur que Marrakech 2016 soit la COP de l'action !

Le 19 Novembre 2015
SOURCE WEB Par L’opinion

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