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Violences au stade Mohammed V: Comment tout a dérapé

Violences au stade Mohammed V: Comment tout a dérapé

Bousculades, sang, cris, pleurs…

La soirée maudite racontée par un Ultra du Raja

A l’extérieur, les mesures de sécurité étaient pourtant renforcées

Samedi 19 mars. Casablanca se réveille sous un grand soleil … L’une de ces matinées qui donne envie de jouer au foot ou de le regarder... C’est jour de match pour le Raja ou «RajaDay» comme le nomme ses supporters à travers les réseaux sociaux, et cerise sur le gâteau, le 67ème anniversaire de mon club de cœur. Oui je sais, mes profs à l’ESJC vont me reprocher mes écarts sur le sacro-saint principe de la neutralité journalistique. Je compte sur leur indulgence: quand vous avez grandi dans une ambiance familiale où l’on ne jure que par le vert et blanc, c’est beaucoup plus fort que vous, c’est quasi-obsessionnel. Je me lève donc du bon pied. La perspective d’une bonne soirée me fait pratiquement oublier mes 6 heures de cours et le stress accumulé tout au long de la semaine. Après l’école, je regagne notre domicile pour pouvoir me changer puis me dirige vers le stade. Pas de soucis de stationnement. J’habite à quelques mètres du mythique stade Mohammed V. Je retrouve un ami, Fayçal, lui aussi un inconditionnel des virées rajaouies.  D’habitude, nous assistons au match dans les tribunes latérales. Je lui fais faux bond cette fois-ci, optant pour le «virage», endroit fétiche des vrais mordus du Raja, du moins quand on a faim d’ambiance.  Dans les espaces autour du stade, des fans de tout âge scandent les nouveaux chants de la «Curva Sud Magana»  dans une ambiance festive.

Une fois les formalités sécuritaires assurées,  avec des mesures particulièrement renforcées (même les bouchons de bouteilles en plastique étaient interdits), enfin le stade. A l’intérieur, je garde toujours espoir de pouvoir dénicher un bouchon pour couvrir ma bouteille. J’aperçois finalement un stand qui vend des bouteilles d’eau avec leurs bouchons! Un luxe! J’emprunte les escaliers et commence à ressentir cette montée d’adrénaline que seuls les habitués des rendez-vous sportifs de ce type  connaissent. Je cherche une place...mission compliquée. A une heure du coup d’envoi, c’est déjà quasi-complet. Première bizarrerie: comment un espace, le virage,  censé accueillir 10.000 personnes, semble en contenir beaucoup plus. La deuxième est beaucoup plus inquiétante, la promiscuité entre les deux groupes Ultra qui se détestent est manifeste.

Les idées noires cèdent la place au bonheur des retrouvailles avec quelques visages familiers. Mon ami Fayçal finit par me rejoindre. Il aura été beaucoup plus malchanceux que moi: l’entrée au stade lui aura coûté sa montre, perdue ou volée dans une première bousculade. «Ça commence bien », me lance-t-il dans une confidence prémonitoire.

Sur le moment, j’ai surtout peur de me faire piétiner par la foule en panique

Dans les gradins, l’ambiance est explosive certes mais restera bon enfant tout au long des 90 minutes de jeu.  L’arbitre siffle la fin du match. Le Raja mène au score. Les joueurs viennent saluer le public et le remercier. Des fumigènes craquent chez les Ultras Eagles, le second groupe de la Curva qui a vu le jour en 2006, après les Green Boys en 2005. Les joueurs sont  en transe. Les supporters aussi. Après une saison et demie de souffrance, nous voilà enfin avec 4 victoires consécutives en recollant au peloton de tête. Les Green Boys lancent des fumigènes à leur tour, après le signal du «Capo» du virage. Ensuite tout se déroule trop vite sans que l’on comprenne véritablement ce qui se passe. Je vois sortir des portes un groupe de jeunes au regard haineux armés de pierres et de couteaux. Pour des raisons inconnues, les Green Boys voulaient en découdre avec les Ultras Eagles. Comment cet arsenal, les armes blanches tout particulièrement, a pu se jouer du dispositif. Pas le temps de trop m’interroger. Une bousculade générale s’ensuit et beaucoup de confusion. J’essaye d’éviter de toucher le sol. Sur le moment, j’ai surtout peur de me faire piétiner par la foule en panique. Mon ami a disparu. Je lutte pour ne pas tomber. Des gens crient. D’autres tentent de faire face aux agresseurs armés. Puis le pire, des flaques de sang, des corps inertes. Pas le moindre soupçon d’un représentant des forces de l’ordre. Un moment d’inattention et me voilà par terre. Je n’ai pas le temps de me relever. Des corps me tombent dessus. Mes jambes sont coincées. J’entends des voix réciter la «Chahada». Je m’efforce de ne pas paniquer et surtout de garder la tête relevée pour respirer. Je parviens à retirer une jambe, sous une pluie de pierres. J’essaye difficilement de libérer la deuxième. J’ y arrive finalement en abandonnant ma chaussure.

Je me relève et cherche la porte  la plus proche à une cinquantaine de mètres. J’entends un cri aigu. Un garçon de 14-15 ans, lunettes brisées me supplie de le sortir. Je lui tends les deux mains et tire. Je sens d’autres mains me tirer vers elles pour faciliter le sauvetage. Le jeune est finalement libéré. Je l’accompagne jusqu’à la porte de sortie. Il me demande en pleurs des nouvelles de son frère. Il veut retourner le chercher mais je le dissuade. Je me retourne une dernière fois avant de descendre les escaliers vers l’une des portes de sortie. Des chaussures jonchent le sol, des vestes, des téléphones portables et des cigarettes… En tâtant mes poches pour voir si je n’ai rien perdu, je sens mon téléphone vibrer. Ma mère. Je n’ai pas la  force de parler, me contentant d’un «J’arrive» laconique,  avant de raccrocher.

J’enfile une chaussure abandonnée avant d’essayer de courir –souffle coupé– chez moi. Sur le chemin, je perds l’équilibre à plusieurs reprises. Le bruit  et les grondements assourdissants du stade s’éloignent tandis que j’aperçois l’entrée de notre résidence. Je franchis les quelques mètres qui m’en séparent...sans regarder derrière.

Nassim Elkerf

Etudiant en journalisme à l’ESJC

Le 24 Mars 2016
SOURCE WEB Par L’économiste

 

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