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Il était une fois au Sud Est du Maroc, quatre princesses chrétiennes …

Il était une fois au Sud Est du Maroc, quatre princesses chrétiennes …

L’implantation et le rayonnement du christianisme en Afrique du Nord est donc une réalité tout au long des premiers siècles du premier millénaire. Sa diffusion au-delà des seuls sites urbains est plus que probable, vers ces territoires de l’intérieur où les puissances du moment n’exerçaient quasiment aucune autorité. Même si la confrontation confessionnelle avec le paganisme largement répandu parmi les populations amazighes autochtones a dû créer certaines frictions, d’importantes passerelles théologiques ou cultuelles ont aussi dû faciliter les conversions.

Nous savons aussi que l’arrivée de l’Islam au 7ème siècle jusqu’aux confins de la côte atlantique n’a pas entrainé la disparition immédiate des présences chrétiennes. L’effacement complet aura lieu cinq siècles plus tard sous l’autorité des dynasties Almohades, au même moment que disparurent du Maghreb les autres expériences musulmanes comme le chiisme et le kharijisme.

Alors qu’en 1883 l’explorateur français Charles de Foucauld parcourt le Maroc à la découverte de territoires jamais encore traversés, au-delà des montagnes massives de l’Atlas, dans cette partie du pays insoumise à l’autorité des sultans successifs et ainsi dénommée le bled es s?ba, ce qui signifie le pays de l’anarchie, il note dans son petit carnet à la date du 18 octobre sa joie de découvrir enfin un bois de palmiers à l’orée du village de Tikirt où il s’apprête à faire une halte après une harassante marche.

Il vient en effet de franchir le col de Télouet, l’un des rares points de passage de cette véritable muraille minérale qui coupe en deux le Maroc. Pénétrant dans cette zone d’insécurité où règne la seule loi des tribus amazighes, il a endossé le déguisement du voyageur juif et son guide, le rabbin Mardochée Aby Serour d’Akka, l’accompagne pour lui faire partager son expérience déjà confirmée de l’exploration et surtout lui permettre de s’insérer naturellement dans les villages au travers leurs communautés juives. En cette fin du 19ème siècle, il avait semblé à Charles de Foucauld plus judicieux de passer ainsi sous les traits d’une population à la fois acceptée et déconsidérée, et donc peu encline à attirer l’attention, présente dans ces terres depuis des temps éloignés, plutôt que sous l’aspect d’un européen forcément perçu comme un chrétien, et donc comme un possible ennemi.

Il profite de ce séjour à Tikirt où il réside pendant une semaine pour aller voir de plus près des ruines d’une ancienne citadelle autour de laquelle se trament, selon sa propre expression, mille légendes. Le récit qu’il en fait permet d’imaginer aisément comment l’histoire a pu lui être racontée, d’une manière telle à attiser la curiosité de tout témoin :

    « Naguère, il y a bien des siècles, trois princesses, filles d’un roi chrétien, régnaient sur ces contrées : l’une, Doula bent Ouâd, résidait en cette forteresse de Tasgedlt ; une autre, Zelfa bent Ouâd, en habitait une semblable, sur les bords de l’Asif Marren, près de Teççaïout ; la troisième, Stouka bent Ouâd, une semblable encore à Taskoukt, sur l’oued Imini : en ces trois lieux se voient des ruines pareilles. »

    Charles de Foucauld – Reconnaissance au Maroc – 1883

Après avoir parcouru les quelques kilomètres qui l’en séparent, il s’arrête pour discerner de loin les restes de ce qui s’apparente à une forteresse jalonnée de tours, laquelle gravit les flancs d’une montagne pour la ceindre et ainsi protéger d’autres ruines éparses qui signent l’emplacement d’anciens bâtiments. Il prend le temps de croquer la vue d’ensemble, ainsi que la partie la plus insolite sous la forme d’une porte d’entrée. Aujourd’hui encore, ce qui reste de l’édifice, et la largeur imposante des murs d’enceinte, laissent envisager l’importance du lieu et donne crédit à l’idée qu’en cet endroit devait bel et bien résider jadis quelqu’un de grande valeur.

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Croquis des ruines de Tasgedlt par Charles de FoucauldCroquis des ruines de Tasgedlt par Charles de Foucauld

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Croquis des ruines de Tasgedlt par Charles de FoucauldCroquis des ruines de Tasgedlt par Charles de Foucauld

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Les ruines de Tasgedlt aujourd'hui à Tadula près d'Ouarzazate

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Les ruines de Tasgedlt aujourd’hui à Tadula près d’Ouarzazate

A la recherche des princesses disparues

Charles de Foucauld avoue cependant n’accorder que peu de foi à la réalité de cette belle légende. Il explique que le récit qu’on lui a fait précise qu’à l’arrivée des armées musulmanes, à partir du 7ème siècle, la chute de cette royauté chrétienne s’en suivit avec le départ précipité des princesses. Il considère d’ailleurs que les ruines pourtant présentes de manière similaire dans chacun des trois lieux où les sœurs se seraient installées devaient être les restes d’anciennes casbahs construites par un des sultans.

Si sa conclusion vient contredire son propre constat que ces larges territoires ont toujours été hors du contrôle de tout sultan, elle se heurte surtout à l’amplitude de la légende dès lors qu’on la complète avec d’autres observations que l’explorateur n’avait pas faites en son temps.

C’est en effet au sein du ksar d’Aït Ben Haddou, à quelques kilomètres des ruines de Tasgedlt, que se découvre au hasard des pérégrinations dans le dédale de ses ruelles un élément troublant qui vient ragaillardir la lueur de la légende. La tradition orale du village rapporte qu’un très ancien puits, situé entre les deux premiers murs d’enceinte qui protégeaient autrefois le village et son grenier, porte le nom d’Anou n’Tarmouyte, autrement dit le puits de la chrétienne.

Mieux encore, lorsqu’on cherche à en savoir un peu plus sur cette étrange appellation, les anciens de la communauté villageoise se plaisent à raconter leur propre version de l’histoire. Le roi Ouâd aurait bien existé en des temps fort lointains, mais il avait quatre filles, et non pas trois. Cette quatrième, du nom d’Aïssatou, avait pris la relève du pouvoir à la mort de son père et se serait établie précisément en ce lieu aujourd’hui devenu le ksar d’Aït Ben Haddou.

C’est donc elle qui aurait fait creuser le puits, et en effet, à l’arrivée des troupes musulmanes, elle aurait été contrainte de s’enfuir pour échapper aux assauts guerriers et se serait extraite du village par sa porte nord, filant en direction de Telouet dans l’espoir sans doute de rejoindre l’autre côté de l’Atlas.

Aujourd’hui, une tour en ruine qui surplombe cet ancien puits, là où se trouvait il y a très longtemps la porte nord du ksar, est aujourd’hui connue sous le nom de L’Borj n’Tarmouyte, ce qui signifie la tour de la chrétienne.

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Le “puits de la chrétienne” et la “Tour de la chrétienne”, au ksar d’Aït Ben Haddou

Le Maroc lieu de brassage des confessions et des traditions

Situé sur les bords de l’oued Oulina, le village fortifié, l’igherm, d’Aït Ben Haddou est mondialement connu depuis sa classification en 1987 par l’Unesco en tant que patrimoine mondial. Sa silhouette singulière fait figure de symbole de l’architecture amazighe au Maroc et finalement du Maroc tout entier. Jadis lieu de halte des grandes caravanes chamelières du commerce transsaharien, Charles de Foucauld et son guide sont pourtant passés devant l’imposant ksar sans s’y arrêter, passant à côté de l’histoire d’Aïssatou, la quatrième princesse chrétienne.

La légende et ses traces qui perdurent ainsi pour quelques temps encore dans la mémoire des anciens viennent rappeler qu’au Maroc, avant le 7ème siècle et l’arrivée des premières troupes du général Oqba Ibn Nafi al-Fihri en provenance de la péninsule arabique, la population amazighe avait déjà accueilli sur une durée de près de mille ans des communautés venues d’Orient porteuses de culture phénicienne, juive, romaine ou chrétienne.

Qu’en est-il de ces brassages humains qui ont ainsi mêlé toutes ces confessions et ces traditions ? Jusqu’où aura pu ruisseler ce savant mélange ? Sur quelles terres fertiles ou même arides a-t-il pu alors fleurir en communauté, principauté ou royaume ?

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Le ksar Aït Ben Haddou

L’itinérance des opprimés comme premier vecteur de diffusion de la foi

Les dernières paroles prononcées par Jésus de Nazareth, telles que rapportées dans l’Evangile de Marc, pourraient laisser croire que l’expansion du christianisme relève d’un volontarisme avant tout idéologique :

    « Puis il leur dit :

    Allez dans le monde entier proclamer la bonne nouvelle à toute la création. »

    Marc 14,15

La réalité comment souvent est plus complexe. Les disciples et fidèles de Jésus communément appelés les Galiléens ne constituent après sa mort qu’un groupe de plus parmi un judaïsme certes dominant mais alors morcelé et en crise de sens. Leur itinérance s’entame cependant très rapidement par leur expulsion de Jérusalem après le lynchage dans les années 35 d’une des premières figures charismatiques de ces juifs en voie de christianisation, le dénommé Etienne, depuis considéré comme le premier des martyrs parmi les chrétiens.

Ces premiers exilés s’implanteront rapidement aux alentours, à Antioche ou à Chypre, en Phénicie ou à Damas, pour y constituer les premiers foyers de ce qui allait lentement devenir une nouvelle religion.

La destruction du Temple de Jérusalem par les armées romaines dans les années 70 sous l’autorité de Néron enclenche une dynamique durable de dispersion du peuple juif, toutes confessions confondues.

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Mosaïque, II? siècle après J.-C.

Musée archéologique El-Jem, Tunisie

L’émergence du christianisme africain

L’arrivée de ces populations en exil dans les territoires du Nord-Ouest africain allait de soi notamment en raison de l’attraction de Carthage, dans l’actuelle Tunisie, cité sous occupation romaine depuis l’année 146 av. J.-C., et où vivait depuis longtemps une importante communauté juive. En 180, l’histoire raconte que douze chrétiens, les martyrs de Scilli, y furent exécutés sous ordre du proconsul d’Afrique et à peine cinquante ans plus tard, une communauté chrétienne se sera consolidée au point que l’évêque de Carthage, leur responsable, pourra y organiser dans les années 240 un concile regroupant près d’une centaine d’autres évêques de communautés chrétiennes des environs.

Evêque : Le mots est issu du grec Eπ?σκοπος / episkopos qui veut dire littéralement « superviseur », c’est-à-dire modérateur, responsable d’une communauté. Source : Wikipédia

Carthage deviendra ainsi un haut lieu de la chrétienté en Afrique d’où émergeront d’importantes personnalités, tous berbères convertis à la foi nouvelle, comme Tertullien, Cyprien ou Augustin d’Hippone qui restera dans l’histoire comme Saint Augustin.

A la fin du 2ème siècle, Tertullien témoigne dans un de ses ouvrages que l’expansion des chrétiens était vive. Il s’adresse ainsi aux autorités romaines :

    « Nous ne sommes que d’hier et nous remplissons tout, vos villes, vos îles, vos castella, vos décuries, le palais, le sénat, le forum … »

    Tertullien – Source : Histoire du Maroc / François Decret

Le christianisme est ainsi réputé pour s’être d’abord implanté dans les villes déjà romanisées des territoires de l’ancien royaume berbère de Maurétanie, encore connu comme le Royaume des Maures, sous le règne de différents souverains comme Bocchus, Juba II ou Ptolémée. Ce fut le cas à Tanger (Tingis) ou à Volubilis, à Asilah (Zilis), Ceuta (Septem), Larache (Lixus), Tétouan (Tamuden-sis) ou encore Salé (Salensis).

Mais c’est encore sous la pression de la violence que la dispersion des nouveaux croyants augmenta et pu amener certains à quitter les zones à risques que devinrent les grandes cités pour se réfugier plus en profondeur dans les terres, au-delà des montagnes justement. La féroce persécution qui s’abattit au début du 4ème siècle sur les chrétiens d’Afrique, sous l’impulsion de l’empereur romain Dioclétien, du ainsi provoquer de très nombreux exodes.

Carte-Mauretanie-102

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Empereur-Constantin

    Saint Augustin, VIe s. Fresque, palais du Latran, Rome

    Saint Augustin, VIe s.

    Fresque, palais du Latran, Rome

    Tertullien

Constantin le Grand Mosaïques de Sainte - Sophie , ConstantinopleConstantin le Grand

Mosaïques de Sainte – Sophie , Constantinople

Les royaumes amazighes comme lieu refuge du christianisme

Il faudra attendre la conversion de l’empereur Constantin dans l’année 313 pour qu’une période d’accalmie puisse permettre à la nouvelle religion un développement plus serein sur les décennies suivantes. Mais cette dernière période de persécution par le pouvoir de Rome eut aussi comme conséquence l’émergence au sein de la chrétienté balbutiante d’un courant idéologique divergent qui remporta une importante audience auprès des communautés les plus pauvres, les moins éduquées, et dans celles des ruralités.

Ce courant, appelé donatisme, s’opposait à l’alliance nouvelle qui se mettait en place entre le christianisme et l’Etat romain. Ses adeptes et ses penseurs cherchaient à définir une vision de la foi plus ancrée sur ce qu’ils appellent l’Esprit-Saint, c’est-à-dire le ruissellement de l’esprit de Dieu parmi les humains. Ce courant qui finira par être considéré comme hérétique et sera vivement combattu propose ainsi une vision de la religion chrétienne plus articulée sur le culte des saints et des martyrs, ce qui n’est pas sans rappeler la propension des tribus amazighes à accueillir plus tard le soufisme et l’édification d’un système à la gloire des sages, avec la multiplication dans le Maroc rural des zaouïas.

Toujours dans cette même répétition d’un scénario du chaos, l’invasion des Vandales venus d’Europe en 430 vint imposer pendant presqu’un siècle, dans une grande violence, une autre version du christianisme, appelée l’arianisme, qui entraina une fois de plus persécution, confiscation des biens, destruction de lieux de culte, conversion forcée, et nouvel exode pour les chrétiens restés fidèles à leur foi d’origine vers ces territoires de l’intérieur du pays où avaient émergé diverses principautés berbères farouchement résistantes aux envahisseurs successifs.

Ces territoires amazighes ont ainsi du offrir à tous ces exclus des havres de paix bienvenus. Les chefs de ces royaumes, souvent chrétiens, ont porté longtemps les titres romains comme le fit le souverain Masuna au sein du Royaume des Maures et des Romains et que l’on désignait comme le Rex gentium Maurorum et Romanorum.

Le royaume d’Altava lui succèda à la fin du 5ème siècle et fit vivre une culture berbère chrétienne sur les territoires de l’ancienne province de Maurétanie Césarienne qui correspondent aujourd’hui à l’actuelle Algérie centrale et occidentale et à une partie du nord-est du Maroc.

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Le royaume d’Altava – Source : Wikipédia

La musique de leur existence résonne jusqu’à aujourd’hui

L’implantation et le rayonnement du christianisme en Afrique du Nord est donc une réalité tout au long des premiers siècles du premier millénaire. Sa diffusion au-delà des seuls sites urbains est plus que probable, vers ces territoires de l’intérieur où les puissances du moment n’exerçaient quasiment aucune autorité. Même si la confrontation confessionnelle avec le paganisme largement répandu parmi les populations amazighes autochtones a dû créer certaines frictions, d’importantes passerelles théologiques ou cultuelles ont aussi dû faciliter les conversions.

Nous savons aussi que l’arrivée de l’Islam au 7ème siècle jusqu’aux confins de la côte atlantique n’a pas entrainé la disparition immédiate des présences chrétiennes. L’effacement complet aura lieu cinq siècles plus tard sous l’autorité des dynasties Almohades, au même moment que disparurent du Maghreb les autres expériences musulmanes comme le chiisme et le kharijisme.

Malgré l’absence de sources historiques qui puissent aujourd’hui l’attester, les territoires du Sud Est marocain ont ainsi pu accueillir un royaume chrétien. Doula, Zelfa, Stouka et Aïssatou, les quatre princesses filles du Roi d’Ouâd, ont pu exister et ainsi régner sur les terres aujourd’hui réunies dans la commune rurale d’Aït Zineb.

La persistance de leur souvenir vient renforcer la possibilité de cette réalité car la musique de leur prénom résonne encore dans l’appellation des lieux qui les accueillirent jadis.

Là où s’était installée Doula Bent Ouâd, dans la forteresse de Tasgedlt visitée par Charles de Foucauld, le douar porte aujourd’hui le nom de Tadoula, le préfixe « Ta » étant en langue amazighe l’expression de l’appartenance au féminin d’un nom. Le douar de Stouka Bent Ouâd lui s’appelle Taskoukt.

Et le ksar d’Aït Ben Haddou qui jadis était la demeure de la princesse Aïssatou a pendant des siècles été appelé du nom de ses fondateurs officiels, la famille des Aït Aïssa.

Un dernier indice vient éclairer la légende d’une lumière magistrale, comme pour la valider à jamais : Aïssa est la traduction en arabe du nom de Jésus.

Le 08 /08/ 2020

SOURCE WEB PAR : Mapexpress

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