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Au pays de la bluffocratie, les crédules sont rois, par Hatim Benjelloun

Au pays de la bluffocratie, les crédules sont rois, par Hatim Benjelloun

Les adeptes du jeu de Poker vous diront que le Bluff est un art bien subtil…au-delà du jeu de manipulation direct qu’il implique, c’est d’abord de la mise en scène, un processus lent, pointilleux et qui prend forme bien avant l’action elle-même. Il nécessite une bonne dose de sang-froid, de courage et d’intelligence situationnelle. Pour d’autres, moins aguerris aux jeux, le Bluff n’est qu’un mensonge visant à tromper autrui. Il ne serait que tartufferie et ne pourrait légitimer le succès.

Pourtant, le Bluff m’apparaît aujourd’hui comme une composante culturelle et une constante sociale et politique dans plusieurs pays, notamment le Maroc.

Sans pour autant en amoindrir les mérites, la réussite de Macron lors des dernières élections présidentielles françaises pourraient être assimilées à une succession, savamment orchestrée, de coups de bluffs d’abord médiatiques, puis politiques. Il serait injuste d’attribuer la victoire du plus jeune président de l’histoire de la République à une simple manipulation des vues de l’esprit et des opinions, les plus hésitantes et les moins incrédules. Macron a su appréhender avec précision et justesse l’évolution du jeu démocratique. Limitée par un espace-temps de plus en plus court, circonscrite à la seule loi de l’opinion publique, réduite à l’instantanéité des décisions, scénarisée à outrance, la démocratie ne se joue plus sur le terrain des idées mais dans une nouvelle arène onirique où le talent appartient à l’illusionniste et non plus à l’idéologiste.

En géopolitique, le bluff est légitime et même théorisé dans les relations internationales. L’équilibre des puissances s’articule dans un jeu de balancier entre la real politik - pragmatisme avancé où le mensonge et la trahison alternent avec l’amitié et le partenariat - et le constructivisme - la perception de la puissance est plus forte que la puissance elle-même.

Dans ce domaine, le Maroc manipule le bluff avec brio, accompagné d’une efficacité hors-pair. La stratégie de leadership du Royaume à l’échelle régionale et continentale s’est construite sur une série d’actions et de coups tactiques mêlant Bluff - semi-Bluff - et manipulations, qui, de premier abord, apparaissaient comme criantes de crédulité.

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Le Maroc, un Hub pour l’Afrique.

Qui oserait le contredire aujourd’hui ? Mais qui pourrait le démontrer dans les faits? Quelques chiffres inquiètent pourtant nos économistes : en 2016, 3.957 emplois créés en Afrique par le Royaume contre 37.000 détruits au Maroc.

Le Maroc a signé plus de 600 conventions internationales avec l’Afrique en l’espace de 4 ans.

Un chiffre flatteur de performance. Mais qui parierait sur la mise en œuvre effective de cette pléthore d’accords, alors qu’une convention internationale prend, dans le meilleur des cas, plus d’un an pour être opérationnelle ?

Un méga-projet de Pipeline entre le Maroc et le Nigéria.

Des études de faisabilité auraient même été lancées. Une impression de déjà-vu. Nos parents croyaient dur comme fer au projet du « Tunnel de Gibraltar », adossé - par coïncidence ? - à une candidature pour intégrer l’Union Européenne.

Le Maroc résolument tourné vers le développement durable.

La plus grande centrale thermo-solaire au monde, la COP22 et «0 Mikka », sont si criantes de vérité. Cependant, il est plus aisé de croire à la dimension « durable » mais plus difficilement au développement qui se fait rare ces dernières années.

Le Maroc en voie d’industrialisation.

L’usine Renault Tanger est aujourd’hui un modèle de réussite industrielle ; suivront PSA et certainement d’autres constructeurs automobiles. Cela dit, nous continuons, en silence, à importer nos machines-outils, appareillages électriques et électroniques, matériels agricoles et médicaux, jusqu’à l’aiguille et le fil à coudre, confinant notre tissu industriel à de la sous-traitance à faible valeur ajoutée, et mettant à mal notre compétitivité à l’international.

Des méga-structures à faire pâlir un sud-coréen.

TGV, Théâtre de Rabat, Tours d’affaires, Malls,… le gigantisme n’est plus un tabou. Il nous émerveille et sert gracieusement notre ego. Quid de la gouvernance et de l’administration efficiente de ses projets d’infrastructures ? Ce n’est pas moi qui m’interroge mais la Banque Mondiale qui nous sonde dans son dernier rapport.

La liste pourrait être aussi longue que les doutes qui fragilisent la viabilité de ces « tags » nationaux. Mais ne dit-on pas que le résultat est le graal des vérités ? En l’espace de 18 mois, le Maroc réintègre l’UA et entame son adhésion à la CEDEAO. Les IDE continuent à un rythme croissant et les gros projets industriels se concrétisent bon gré mal gré. Les multinationales lorgnent sur le Maroc et l’envisagent réellement comme un tremplin pour leurs ambitions africaines. Des gouvernements de pays émergents prennent assidûment des notes lorsqu’on leur présente la stratégie énergies renouvelables du Royaume. La coopération sécuritaire avec les pays voisins porte ses fruits et nous offre une place de choix dans les tables de négociations internationales. Les voix s’élèvent sur les cinq continents pour louer la stabilité du Royaume, notre audience s’agrandit et notre « fan-zone » s’élargit. Les succès se succèdent. On peut aisément applaudir, comme le serait le« chip leader » sur une table de Poker.

Si le bluff peut agréger tous les soutiens et laisser pontois les plus grands stratèges, je redoute de voir naître dans mon pays la version la plus vile du bluff. Celle des partis politiques qui, à force de mensonges et de tartufferie, sont aujourd’hui interdits de crédibilité et de légitimité. Celle de la tricherie devenue us et habitus dans nos écoles et universités, confinant le respect des règles et la richesse de l’esprit comme des exceptions. Celle des plus beaux slogans marketing de nos entreprises nationales, travaillées dans les agences de communication les plus zélées, louant qualité, bien-être et citoyenneté, alors que celles-ci, pour la majorité, souffrent de désorganisation chronique et d’une fragilité sans nom face aux évolutions économiques mondiales.

L’indignité est fille des apparences sociales, la misère sociale est fille de la duperie politique et le vide politique est père de la corruption. Plus que jamais, nos dirigeants, nos politiques, nous tous, devons reprendre attache avec le réel. Prendre la mesure de nos forces et forcer la compréhension de nos faiblesses.

Si « la citation est l’art du bluff en philosophie », je finirai par une belle maxime de Lao Tseu « les vraies paroles ne sont point belles. Les belles paroles ne sont point vraies ».

Le 22 Juin 2017

SOURCE WEB Par Panora Post

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