Jouahri déplore le faible rendement socioéconomique de l’investissement
Le Maroc consent un effort d’investissement important et constant, mais qui donne lieu jusqu’à présent à une croissance économique insuffisante, en tendance baissière, avec un contenu en emploi de plus en plus faible et dont les retombées ne profitent pas de la même manière à toutes les régions. Selon Abdellatif Jouahri, ces performances seraient le reflet, outre les insuffisances de la politique de redistribution, d’une faiblesse du rendement de l’investissement.
Fidèle à ses habitudes, Abdellatif Jouahri a dressé un diagnostic sans langue de bois lors du symposium sur l’investissement et le rôle de l’État territorial. «Le Maroc consent un effort d’investissement important et constant, mais qui donne lieu jusqu’à présent à une croissance économique insuffisante, en tendance baissière, avec un contenu en emploi de plus en plus faible et dont les retombées ne profitent pas de la même manière à toutes les régions», a déploré wali de Bank Al-Maghrib (BAM), lors de cet événement organisé mercredi à Rabat par le Conseil du développement et de la solidarité (CDS).
Chiffres à l’appui, au cours des deux dernières décennies, l’effort d’investissement du pays atteint autour de 30% du PIB. En comparaison internationale et au regard de l’expérience des pays ayant déjà réussi leur émergence économique comme la Corée du Sud ou la Chine, cela devrait être suffisant pour espérer un rattrapage économique rapide. Or, ajoute Jouahri, sur la même période, la croissance s’est établie à 3,8% en moyenne annuelle, avec un affaiblissement de son rythme de 4,7% entre 2000 et 2010 à 2,8% entre 2011 et 2021.
Une grande partie de la population en âge d'emploi reste en dehors du marché du travail
De plus, sur le marché du travail, l’économie nationale a généré au cours des deux dernières décennies 89.000 emplois annuellement, soit 24.000 emplois par point de croissance. Cette moyenne est passée de 30.000 emplois au cours de la première décennie à 13.000 durant la seconde. Parallèlement, la population en âge de travailler s’est accrue au rythme moyen de 380.000 par année. «Ce qui empêche le taux de chômage d’augmenter sensiblement, c’est qu’une grande partie de cette population reste en dehors du marché, soit près de 3 hommes sur 10, plus de 8 femmes sur 10 et près de 55% globalement, un gâchis de la ressource la plus précieuse pour le développement de notre pays, son capital humain», a regretté le patron de la Banque centrale, devant des ministres, le président de la CGEM et des décideurs publics et privés.
Et ce n’est pas tout. Au volet de la répartition territoriale de la croissance, les disparités régionales sont également importantes : près de 60% du PIB du pays est créé au niveau de trois régions sur les douze. En termes de dynamique, la seule région de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma a participé avec 0,5 point sur les 2,9% de croissance de l’économie nationale en 2019.
De même, pour le chômage urbain, il se situe par exemple à 9,8% dans la région de Marrakech-Safi contre 19,7% dans les trois régions du Sud, durant la même année.
Les résultats des investissements auraient dû commencer à être visibles, selon Jouahri
Pour le wali de BAM, ces performances seraient le reflet, outre les insuffisances de la politique de redistribution, d’une faiblesse du rendement de l’investissement. «Le nombre d’unités d’investissement (en % du PIB) nécessaires pour réaliser un point de croissance du PIB, ce qu’on appelle communément le coefficient marginal du capital (ICOR), a été de 9,4 en moyenne durant la période 2000-2019, contre 5,7 en moyenne pour les pays de la catégorie à revenu intermédiaire-tranche inférieure à laquelle appartient le Maroc», a détaillé Jouahri. La nature des investissements réalisés, entre autres raisons, justifierait ce faible rendement. En effet, le Maroc a lancé depuis le début du millénaire un vaste programme d’infrastructures dont les retombées financières ne se matérialisent vraisemblablement qu’après des délais longs. «Toutefois, force est de constater qu’en l’espace de plus de deux décennies, les résultats auraient dû commencer à être visibles», estime le patron de BAM.
Le secteur privé n'investit pas assez
Par ailleurs, l’Etat reste le principal investisseur au Maroc, alors que le secteur privé continue de faire face à de nombreux défis, notamment le tissu productif caractérisé par une forte fragmentation, une large dominance des TPE et un nombre relativement faible d’entreprises exportatrices. Jouahri a rappelé, d’ailleurs, que 88% des entreprises sont des microentreprises (Enquête de l'Observatoire marocain de la très petite, petite et moyenne entreprise – OMTPME) et que le nombre des sociétés exportatrices actives ne dépasse pas 4.309 (Office des changes-2019). De plus, une TPE sur trois déclare avoir réalisé un investissement entre 2016 et 2018, contre une PME sur deux et huit grandes entreprises sur dix (Haut-Commisariat au Paln ). Les obstacles aux développements des entreprises sont nombreux, selon l’édition 2019 de l’enquête de la Banque mondiale : la diffusion de la corruption, la lourdeur fiscale et la concurrence déloyale des activités informelles ainsi que l’accès au financement. Sur ce dernier point, au-delà des conditions d’accès au crédit, le véritable problème réside dans le faible recours des entreprises au financement externe : la dette financière des entreprises ne représentant que 19% de leur financement en 2020. Pour Abdellatif Jouahri, la facilitation de l’accès au financement reste l’une des actions prioritaires de BAM.
Plusieurs initiatives ont été lancées dans ce sens. «Ces derniers mois, au regard de l’accélération de l’inflation, la Banque a augmenté son taux directeur à deux reprises depuis septembre dernier. Certes, ce sont des actions de resserrement, mais il faudrait souligner que les conditions monétaires restent largement accommodantes», a expliqué le Wali de la Banque centrale. En effet, avec un taux directeur à 2,5% à fin 2022 et une inflation à 6,6% en moyenne sur l’année, les taux d’intérêt ressortent négatifs en termes réels. Par ailleurs, face à la décélération de la croissance et dans un contexte de pression sur les ressources publiques, avec les nombreux chantiers sociaux budgétivores en cours, le secteur privé est appelé plus que jamais à assumer son rôle principal d’investisseur de créateur de richesses et d’emplois.
Du côté des autorités publiques, la promotion de l’investissement est hissée aujourd’hui au premier plan de l’agenda, avec notamment le plan de relance de 120 milliards de dirhams, la création du Fonds Mohammed VI pour l’investissement, la nouvelle charte d’investissement et la mise en œuvre de réformes structurelles, ainsi que la stabilité politique du Royaume et la solidité de son système bancaire. «Au regard de cette détermination et de ces moyens, et avec une mobilisation harmonieuse de toutes les parties prenantes dans un cadre fédérateur, en l’occurrence le “Pacte national d’investissement” annoncé par Sa Majesté, l’objectif de 550 milliards de DH d’investissements et de 500.000 emplois à l’horizon 2026 ne serait plus hors de portée, pavant le chemin vers la concrétisation à terme de l’ambition de l’émergence économique et sociale de notre pays», a conclu le patron de BAM.
Le 09 février 2023
Source web par : lematin
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