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Juifs marocains, ces MRE oubliés

Juifs marocains, ces MRE oubliés

Lors d'un récent déplacement en Colombie, j'ai connu Hamit, un jeune avocat israélien. Nous avons vite sympathisé et l'on a fait un bout du voyage ensemble trainant nos sacs à dos de bus en bus dans les vallées merveilleuses de la région de Medellin. Nous avons réellement fraternisé lorsque Hamit m'a passé sa mère Louisa au bout du fil. A ma grande surprise, elle m'a parlé en darija et a insisté pour que nous buvions du thé avec de la chiba (absinthe) pour "éviter de tomber malade sous les Tropiques".

Peu de Marocains le savent mais il y a plus de 800.000 Juifs d'ascendance marocaine installés en Israël. La plupart ont rejoint l'Etat Hébreu après l'indépendance du Maroc (1956) et surtout au lendemain de la Guerre des Six Jours (1967). Ils parlent la darija ou une langue berbère. Ils cuisinent le tajine et écoutent de la musique andalouse. Ils placent en haute estime Mohammed V et Hassan II au point d'organiser des cérémonies pour rendre hommage à la mémoire de ces deux monarques

Mon père est décédé il y a quelques semaines. Lors des funérailles, j'ai fait la connaissance d'un de ses amis d'enfance, ils ont grandi dans un petit village nommé Bhalil à quelques kilomètres de Séfrou, une ville où les Juifs étaient plus nombreux que les musulmans au XIXe siècle. Le camarade de mon père me raconta une histoire extraordinaire qui se transmet de père en fils à Bhalil. En 1949 ou 1950, quelques hommes du village (une dizaine) avaient décidé de faire le pèlerinage à la Mecque. Ils ont fait le voyage à pied pendant plusieurs mois. Une fois au Sinaï, ils ont chargé un bédouin de les conduire jusqu'en territoire saoudien. Ce dernier a oublié de leur dire que l'armée israélienne patrouillait le secteur de jour comme de nuit. Le petit groupe de bahloulis (c'est ainsi que l'on nomme les habitants de Bhalil) a été arraisonné par des soldats juifs et a été conduit sur une base pour interrogatoire.

Comme personne ne parlait l'hébreu parmi les villageois, on a appelé à la rescousse un certain capitaine Benabou qui, lui, maîtrisait l'arabe. Benabou n'était rien d'autre que le fils de Dina, la femme du couturier du mellah de Séfrou. Lorsqu'il a su à qui il avait affaire, Benabou s'est mis à pleurer avant de donner l'accolade, un par un, aux hommes qu'il était censé interroger. Tout ce petit groupe s'est retrouvé dans la maison occupée par Dina, la juive de Séfrou récemment arrivée en terre sainte. Ils ont eu le gîte et le couvert pendant quelques jours (chiba inclus!), le temps que Benabou obtienne les laisser-passer nécessaires pour les conduire à la frontière. Les bahloulis ont accompli le Hajj et sont revenus sains et saufs pour s'occuper de leurs oliviers.

J'ai attendu la mort de mon père pour connaitre cette histoire. Petit à petit, ceux qui se souviennent de la présence juive au Maroc que ce soit dans les villes ou les campagnes, sont en train de nous quitter. Le Maroc officiel (celui de l'école et de la presse) a fait un reset d'une bonne partie de notre Histoire. Il a oublié combien nous étions cosmopolites et ouverts au monde dans les années 1930-1950. Meknès et Fès étaient beaucoup plus riches d'un point de vue ethnique et confessionnel que de nos jours. On y trouvait des Russes, des Portugais, des Italiens et bien entendu des Juifs. Et ce ne sont pas quelques cars de touristes à Jamaa el Fna qui vont éclipser la splendeur de cette époque révolue où nous étions vraiment un carrefour de civilisations.

Les Juifs marocains sont partis pour plusieurs raisons. La première, à mon avis, est de nature économique. A la fin du Protectorat, ils étaient parmi les Marocains les mieux éduqués donc les plus préparés pour trouver un emploi en France et en Amérique du Nord. Ensuite, il y a eu la création d'Israël et l'action extrêmement efficace de l'Agence Juive qui a convaincu des milliers de familles de rejoindre les kiboutz. C'était une époque idéaliste et refaire sa vie au sein d'une communauté égalitaire et agricole était une utopie qui semblait à portée de main.

Si ces Juifs et leurs descendants aiment autant le Maroc en dépit du temps qui passe, c'est que ce pays fait partie intégrante de leur histoire personnelle. Pour la plupart d'entre eux, le Maroc est le pays de leurs ancêtres, une terre aimée et qui dans l'ensemble les a bien traités. La posture de Mohammed V lors de la Seconde guerre mondiale n'a pas été oubliée: il a refusé de livrer les Juifs marocains au régime de Vichy qui voulait les déporter. Plus tard, Hassan II n'a eu cesse de reconnaître la part des Juifs dans l'identité marocaine. Et Mohammed VI, dans la constitution de 2011, a veillé à ce que le judaïsme figure parmi les "affluents séculaires" de l'identité nationale.

Malheureusement, le conflit israélo-palestinien déchaîne des passions qui empêchent de penser la nécessaire mise en valeur de l'identité juive du Maroc. A titre personnel, je trouve que l'hypocrisie rend impossible toute discussion sérieuse sur ce sujet. Crier sur tous les toits une solidarité de façade avec les Palestiniens ne sert ni la cause palestinienne ni les intérêts du Maroc.

Quand je me balade dans Bhalil aujourd'hui et que je vois ses plantations assoiffées, je me dis que nous aurions beaucoup à apprendre des agriculteurs juifs qui ont vaincu l'aridité du Neguev. Quand je vois le calvaire de notre diplomatie au sujet du Sahara, je ne peux m'empêcher au coup de pouce que pourraient nous donner les Israéliens aux Etats-Unis et en Afrique subsaharienne où ils sont très actifs. Quand je vois Sa Majesté Mohammed VI batailler pour amener des investissements au Maroc, je pense à l'extrême vitalité de l'industrie israélienne dont une bonne partie des cadres parlent parfaitement arabe. La high-tech israélienne pourrait délocaliser une partie de sa chaîne de valeur chez nous et fabriquer drones et microprocesseurs à Tanger.

Grâce à Dieu, la monarchie marocaine fait le boulot que d'autres ne font pas par négligence ou ignorance. A ce titre, saluons le travail de Mohammed VI qui a récemment rendu leur nom d'origine aux ruelles du mellah de Marrakech. Le roi a montré la direction, aux intellectuels de prendre le relais. Être patriote, c'est aussi embrasser l'héritage juif du Maroc.

Le 03 Avril 2017

SOURCE WEB Par Huffpostmaghreb

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